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La saison des pluies n’est pas loin, ces coups de vent qui soufflent régulièrement chaque soir en sont l’annonce. Le ciel ne se couvre plus jamais, le soleil qui approche de l’équateur passe presque au zénith, les journées sont brûlantes, et la terre, dans la nuit pure et scintillante, renvoie sa chaleur aux étoiles, se couvre de rosée.

En prévision des premières pluies, les indigènes brûlent la brousse, c’est une façon commode de défricher et de préparer les semailles. Que sèment-ils ici ? Au Soudan, les noirs ont des lougans (des champs) de mil, d’arachides, de patates, d’ignames ; ils cultivent le coton ; il leur faut des pâturages pour leurs troupeaux, pour leurs chevaux. Mais au Congo ? La culture se borne au manioc ; les bananiers sont en petit nombre et se reproduisent tout seuls ; les ananas poussent à l’état sauvage à travers la brousse ; quel besoin les indigènes ont-ils de pâturages ? Le pays ne renferme ni un cheval, ni un âne ; on ne rencontre quelques spécimens de moutons que chez les Bakounis ; ici une chèvre est une rareté ; il n’y a d’autres animaux domestiques que le cochon et la poule. Du manioc, des cochons et des poules, ne me paraissent pas justifier de vastes incendies de brousse. Il est vrai qu’on ne dirige pas le feu ; on veut brûler un hectare et on en détruit mille.

C’est ce qui se passe en ce moment ; toute la rive gauche, dont la berge assez élevée et boisée descend en pente jusqu’au Kouiliou, n’est plus qu’un brasier. L’incendie hurle, se dresse, bondit ; des langues de feu lèchent tous les arbres à la fois, se tordent le long des branches, les font crépiter, éclater ; courbées par le vent, les flammes et la fumée forment une voûte qui s’étend au-dessus de nous, masque le ciel ; une pluie de flammèches retombe autour des boats, nous voguons à travers du feu ; dans cette fournaise, les pagayeurs s’agitent, silhouettes de démons ; je me figure que je navigue sur un fleuve infernal.


Le Kouiliou se perd en méandres indéfinis, il se replie sur lui-même ; depuis hier nous voyons Bouenza devant nous, sans pouvoir atteindre ce petit village construit par la mission catholique ; ce matin seulement, dimanche 30 août, nous y arrivons.