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Révolution éclate en même temps dans tout le Sud et dans le bassin du Yang-Tse ; c’est le résultat d’un mouvement concerté, préparé de longue main par les sociétés secrètes et les agens de Sun-Yat-Sen. Le Setchouen, la grande province du haut Yang-Tsé, qui compte 70 millions d’habitans, Ou-Tchang, la grande ville qui fait face à Han-Keou sur l’autre rive du Fleuve, le Yunnan qui fut jadis la dernière forteresse des Taipings, le Kiang-Sou toujours frondeur, sont les principaux foyers de la révolte. La République est proclamée à Canton ; l’insurrection triomphe à Yun-nan-fou. Un gouvernement militaire est organisé à Ou-Tchang sous la présidence d’un homme énergique et décidé, Li-Hueng-Hong ; il lance une proclamation où il appelle aux armes les Chinois pour chasser la dynastie étrangère : guerre aux Mandchous, expulsion des mandarins, mais paix et respect aux étrangers, tel est le mot d’ordre. Il est scrupuleusement observé : nulle part les étrangers ne sont inquiétés, mais les Mandchous sont tués ou s’enfuient. Les Chinois coupent leurs nattes, le ciseau devient l’emblème de la Révolution ; couper les nattes, c’est le signe de l’affranchissement de la servitude mandchoue. À ceux qui résistent, les propagandistes coupent de force les nattes et quelquefois la tête avec la natte. Les trois quarts de l’Empire sont séparés de fait du gouvernement central ; les impôts cessent de rentrer ; il n’y a plus d’État organisé. Tous les élémens de désordre et d’anarchie sont déchaînés. Le Chinois, d’ordinaire tranquille et passif, devient capable, sans transition, des plus violentes passions, qui vont jusqu’au délire. Partout on célèbre, à grand renfort de chants et de pétards, la liberté conquise ; on réclame la République : « Plus d’Empereur ! c’est un loup dévorant ! c’est un étranger qui opprime le peuple chinois ! » À Nankin, l’agitation commence à la fin d’octobre ; un vieux général tartare, Tchang-Hiun, résiste avec une terrible énergie ; il a dix mille hommes de troupe fidèles, il fait détruire les écoles ; quiconque a coupé sa natte est massacré ; on se fusille dans les rues ; les cadavres s’amoncellent. Mais les troupes gagnées à la Révolution accourent, bombardent la ville ; les républicains arborent le drapeau blanc, symbole de la révolte, ils ouvrent les prisons où près de deux mille officiers et soldats suspects avaient été enfermés. Un bataillon de trois cents, jeunes filles prend part à la lutte. La Révolution l’emporte, Tchang bat en retraite vers le Nord avec ses troupes, rançonnant le pays, pillant