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à manier des Asiatiques. Le principe était si juste, que le Japon, à son tour, s’en constitua le défenseur, s’en servit contre l’Europe et sut en tirer les avantages qu’il comporte. L’alliance défensive anglo-japonaise du 30 janvier 1902 est conclue sur la base de l’intégrité de l’Empire chinois ; c’est elle qui a rendu possible la guerre russo-japonaise que les empiétemens de la politique russe en Mandchourie et en Corée ont rendue inévitable. Le traité de Portsmouth et l’alliance de l’Angleterre avec le Japon, renouvelée en 1905, consacrent le principe de l’intégrité de la Chine et ferment le cycle des calamités que la Russie et, par contre-coup, la France et l’Europe ont eu à souffrir pour l’avoir violé.

L’histoire rentre alors dans son cours normal. La Russie et le Japon sont, par leur situation géographique, les deux Puissances les plus intéressées à l’avenir de l’Empire chinois ; il est assez vaste et assez riche pour que leurs intérêts puissent s’y développer côte à côte sans se nuire et que même ils s’y entr’aident : une association russo-japonaise pour la mise en valeur de la Chine, tel a été le vœu des hommes d’Etat russes ou japonais qui ont eu le sens des grands intérêts permanens de leurs pays ; ainsi pensaient le prince Lobanof et le marquis Ito. Lorsque celui-ci vint en Europe, à l’automne 1901, dans le dessein d’y chercher l’alliance dont il avait besoin pour maintenir l’ordre et la sécurité en Chine, c’est à Paris et à Pétersbourg qu’il s’adressa ; ni M. Delcassé ni le comte Mouraview ne comprirent l’importance des ouvertures que leur fit l’homme d’État japonais ; c’est alors que la diplomatie japonaise entama à Londres les négociations qui aboutirent au traité d’alliance. Les désastres de Mandchourie ramenèrent la Russie à une plus juste appréciation de la situation en Extrême-Orient. L’évolution fatale de la Chine vers un régime mieux adapté à la vie moderne, la mise en valeur de ses richesses, ne se feraient ni sous la tutelle exclusive de la Russie, ni sous la direction unique du Japon ; elles ne pourraient être qu’une œuvre internationale dans laquelle la Russie et le Japon exerceraient l’influence la plus forte et obtiendraient les plus gros avantages. Il fallait donc revenir, après tant de péripéties dramatiques et de sang versé, à la seule conception politique qui fût à la fois conforme à la justice et à tous les intérêts : intégrité de la Chine ; entente russo-japonaise. Le traité de Portsmouth esquissait déjà