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interprétation est celle qu’a adoptée Mme Bartet, rompant avec la tradition ou la convention française. Elle a eu grandement raison. Elle l’a fait d’ailleurs avec le tact, l’intelligence, le sens artiste dont elle est si admirablement douée. Elle a obtenu un grand succès personnel et contribué puissamment au succès de l’ensemble.

A partir du moment où il a accompli la chose abominable, à quel sentiment appartient Macbeth ? Au remords, cela va sans dire. Mais le remords peut prendre toutes sortes de formes. Celle que Shakspeare a étudiée ici, et qui en est une forme à la fois physiologique et morale, c’est la peur. On connaît ces hallucinations produites par la peur et qui abusent aussi bien les individus et les foules. Macbeth y est en proie dès la nuit du crime, dès l’instant même qui précède le crime. Ce poignard dont il aperçoit dans les airs la vaine image, qui le guide vers la chambre de Duncan, et qui s’évanouit quand il tente de le saisir, c’est une hallucination de la vue. Cette voix qu’il entend lui crier : « Tu ne dormiras plus… Glamis a tué le sommeil… Macbeth a tué le sommeil, » c’est une hallucination de l’ouïe. L’épouvante l’a saisi et ne le lâchera plus ; elle le tient à la gorge et l’empêche de prononcer ce mot « Amen » au moment où il aurait le plus besoin de bénédiction ; elle le secoue d’un tremblement convulsif au moindre bruit, elle le fait blêmir, pâlir à la vue de ces mains tachées de sang que ne laveraient pas toutes les eaux de la mer. C’est elle encore qui fera surgir, à l’heure du festin, le spectre de Banquo, visible pour lui seul. Les paroles incohérentes, les cris qui lui échappent, le frisson qui l’agite, sont d’un homme affolé par la peur.

La peur rend cruel. Le phénomène est bien connu, puisqu’il se renouvelle à toutes les époques de guerre civile, et de persécution même en temps de paix. Nous en avons fait l’expérience, pour ainsi dire, en grand, sous la Révolution. La Terreur a mérité d’être ainsi appelée non pas seulement à cause de la peur qu’inspiraient les terroristes, mais pour celle qu’eux-mêmes éprouvaient et qui les faisait impitoyables. Les crimes qui vont maintenant se multiplier et qu’engendrera le premier crime de Macbeth, ce sont les crimes de la peur. Macbeth redoute la clairvoyance de Banquo, son compagnon sur la lande où les sorcières lui ont prédit : « Tu seras roi. » Des assassins contre Banquo et contre le fils de Banque ! Il redoute Macduff : des assassins contre la femme et contre les enfans de Macduff ! Les assassins à la solde de Macbeth parcourent l’Ecosse, et sèment le meurtre jusqu’en Angleterre. C’est une série rouge dont cette fois Marbpth est seul responsable. Car lady Macbeth est étrangère à ces hécatombes, et