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nécessitera au contraire l’emploi des murs et des gros piliers massifs en maçonnerie. Ainsi apparaissent deux des plus importantes formes de l’architecture en Europe. La première comprend l’architecture grecque et la gothique ; la seconde comprend l’italienne, soit celle de l’âge antique, soit celle de l’ère chrétienne. Si l’Italie n’a jamais fait de la vraie architecture gothique, pas plus que de l’architecture grecque, c’est qu’elle n’avait pas les pierres nécessaires pour ces deux architectures[1]. La France, possède ces matériaux, non pas sans doute des marbres comme la Grèce, mais des pierres au grain fin et serré qui ressemblent à des marbres, et, comme elle est seule en Europe à les avoir, il n’est pas étonnant qu’elle ait surpassé toutes les autres nations par la beauté de son architecture, et que seule elle ait pu refaire l’architecture grecque, comme seule elle avait pu faire vraiment de l’architecture gothique. C’est la belle qualité de la pierre française qui explique les colonnes classiques du XVIIIe siècle, comme les fins piliers gothiques du XIIIe.

La grande caractéristique de l’architecture française du XVIIIe siècle est l’emploi de la colonne. La colonne reprend sa fonction constructive comme dans les temples grecs, et pour la surmonter, on renonce à la courbe des arcs pour revenir à la ligne horizontale de l’entablement. Un des grands désirs de l’architecture italienne, depuis la Renaissance, avait été de faire revivre la colonne, mais elle ne put le réaliser complètement. A Rome, avec le travertin au grain si irrégulier, on ne peut faire une belle colonne, surtout il semble impossible de faire une colonne cannelée. Et c’est pourquoi à Rome on ne voit pas une seule colonne cannelée à l’extérieur des édifices. On ne les trouve que dans les intérieurs, là où l’on emploie les marbres rares ou les stucs, matières qui ne conviennent pas pour les extérieurs, soit à cause de la cherté des unes, soit à cause de la fragilité des autres. Il n’y a rien à Rome qui ressemble à la colonnade du Louvre, aux façades de Saint-Sulpice, de la Madeleine ou du Panthéon.

  1. En parlant de l’Italie et de ses pierres, on pense trop souvent à ses marbres, et l’on oublie que ses carrières de marbre, celles de Carrare, n’ont vraiment été sérieusement exploitées qu’à partir du XVe siècle. Les Italiens du Moyen âge ne les ont pas connues : et, si les artistes de l’Italie centrale les ont employées à partir du XVe siècle, ce fut surtout pour la statuaire, et c’est ce qui explique sur ce point sa grande supériorité ; mais toute l’architecture de l’Italie est une architecture de brique et de maçonnerie.