Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rompre pour avoir une position qui assure aussi bien ma liberté que ma fortune. » Et comme Sérurier lui fait observer que le public attribuera probablement sa démarche au désir de disposer d’elle-même, elle réplique qu’elle n’a actuellement aucune pensée de ce genre, mais qu’à la vérité elle ne renonce pas à sa liberté pour l’avenir. Cette perspective, nous savons combien Sérurier la redoute ; aussi croit-il utile à sa cause, comme elle ne parle pas de son fils, d’attaquer cette corde, et il lui demande si la pensée de cet enfant ne s’est pas présentée à son esprit quand elle a signé sa pétition de divorce. La corde ne vibre pas : Elisabeth répond assez sèchement qu’elle ne voit pas ce que son fils a de commun avec la démarche en question. Le ministre de France a compris que l’argument ne porte pas, et, pensant avec galanterie qu’il vaut mieux « se laisser battre que de blesser, » il se borne à faire observer qu’il est peu probable que la seconde Chambre de la législature du Maryland admette la demande formée par Elisabeth : il lui conseille donc de la retirer, s’engageant, si elle s’y résout, à faire valoir auprès de Sa Majesté l’acte de déférence accompli par elle. Elle refuse avec fermeté, disant que le peu de bruit que cette pétition a pu causer est déjà produit, et que, d’ailleurs, elle ne saurait attendre plus longtemps, étant donné les circonstances. En vain Sérurier tente-t-il encore tous les moyens de persuasion, elle demeure inébranlable. Il ne peut que se retirer en lui répétant que sa demande en divorce sera considérée en France comme très blessante ; mais, pour l’empêcher de se jeter dans les partis extrêmes, il a soin d’ajouter que la générosité de l’Empereur est sans bornes, et que lui, Sérurier, désire vivement se tromper dans ses craintes.

Le diplomate était battu : ses finesses comme ses instances s’étaient émoussées sur la fermeté de la belle Américaine. En présence d’une résolution si arrêtée, quelle attitude pouvait-il adopter lui-même ? Son premier mouvement avait été de protester contre tout acte de la législature du Maryland qui intéresserait le roi de Westphalie, comme contraire à la prérogative souveraine. Après réflexion, il jugea préférable de s’abstenir, se réservant de déclarer, dans le cas où le divorce serait prononcé, que, s’il ne protestait pas, c’est parce qu’il n’était pas accrédité comme ministre de Westphalie. Parti d’autant plus sage que l’affaire d’Elisabeth Patterson, après avoir beaucoup