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appelle « Madame Napoléon » ; on la dit fort vaine de ressembler à l’Empereur.

M. Bacciochi est un homme de soixante ans ; il a dû avoir une belle tête et conserve une physionomie agréable sous une titus blanche bouclée. Son fils Félix, Fritz dans l’intimité, est un grand enfant de seize ans, long, timide, parlant bien le français, mais avec gêne ; il paraît enchanté de revoir son cousin Louis. Un jeune Parisien, M. Eugène Lebon, est avec le prince Fritz depuis de longues années. Il est grand, d’une belle tournure, d’une figure agréable ; le noir de jais de ses sourcils, de ses favoris et de sa titus ondée fait ressortir la blancheur de sa belle main qu’il y promène avec complaisance. Il se présente avec grâce, cause à merveille, et je le trouverais en tout parfaitement bien, si je n’avais un peu peur qu’il ne fût trop de mon avis.

On m’a présentée comme remplaçant chez la Reine Mlle R…, que tout le monde croyait mariée au colonel Voutier. La Reine est convaincue que cela devait être, que Mlle R… le désirait beaucoup, mais qu’elle n’a pas hésité à convenir avec lui qu’il ne pouvait refuser la main d’une autre femme, aimée jadis et devenue veuve avec 100 000 francs de rente…

L’état de la France, de l’Europe, les intérêts de la famille de l’Empereur ont fait le sujet de l’entretien. La Reine tenait le dé : M. Eugène le ramassait avec esprit.

Madame Mère s’indigne, paraît-il, de l’attitude que la plupart de ses enfans ont prise à l’égard du nouveau gouvernement français. Les réclamations qu’ils forment pour rentrer en France et pour obtenir des moyens d’existence sont, dit-elle, indignes du nom qu’ils portent. La Reine est moins absolue. Elle n’est pas ennemie de démarches collectives, mais blâme Lucien, Jérôme et la reine de Naples d’en avoir fait déjà de partielles. La personnalité du Roi de Rome est la seule qui doive être mise en avant. Il a été proclamé en 1815, il reste le seul héritier des droits de son père.

Après le départ des Bacciochi, je me suis permis de dire qu’en s’effaçant de la sorte la Reine fait peut-être trop bon marché de ses intérêts ; au moins néglige-t-elle l’avantage qu’elle a d’être plus connue en France que les autres membres de la famille et surtout d’y être plus aimée. C’était la toucher en un point bien sensible. Elle a confessé que la promesse de son