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— Faible mortel, quelle crainte importune !
Me dit le dieu. Vois, pour te mieux charmer,
J’ai rassemblé les trois Grâces en une !
— N’importe, Amour, je ne veux plus aimer !…


Les débuts de la Révolution furent accueillis avec enthousiasme par le galant garde du corps. Mais, aux journées des 5 et 6 octobre, il eut à défendre le Moi au péril de ses jours, et il n’échappa, nous dit-on, que par miracle au « poignard des assassins. » Sa compagnie licenciée quelques mois après, il songea à entrer dans le génie militaire, et, deux années durant, il se consacra exclusivement aux études mathématiques. Nul doute que ces études, auxquelles il revint plus d’une fois dans la suite, n’aient exercé quelque action sur le tour et sur l’orientation de sa pensée ; il s’est visiblement efforcé d’apporter une précision toute scientifique aux recherches psycho-physiologiques qui vont bientôt absorber le plus clair de son activité. Mais, en attendant, le séjour de Paris n’était plus très sûr pour un ancien garde du corps ; ses parens venaient de mourir, lui léguant leur paisible domaine de Grateloup. C’est là que Maine de Biran vint se réfugier et s’enfermer en 1793, tandis que la Révolution poursuivait ses destinées sanglantes.


II

Il y vécut, désabusé comme tant d’autres, mais à peu près tranquille, et, pour oublier les drames du dehors, il se plonge dans l’étude « avec une sorte de fureur. » Il rédige un Discours sur l’homme, il écrit sur l’Etude de l’histoire, sur l’Existence de l’Etre suprême, sur l’Athéisme, sur la Mort, sur l’Activité, sur la Liberté, sur les Relations morales, sur la Moralité de nos actions ; il compose un Portrait du Sage ; il commence son Journal intime[1]. Et, à l’aide de ces divers écrits, on peut assez bien reconstituer son état d’esprit d’alors.

Cet état d’esprit est complexe et un peu contradictoire.

  1. Le Journal intime, on le sait, a été publié pour la première fois par Ernest Naville dans l’ouvrage intitulé : Maine de Biran, sa vie et ses pensées (3e édition, revue et augmentée. Paris, Perrin, 1814). Mais la publication d’Ernest Naville n’était que fragmentaire. Plusieurs critiques ont pu étudier soit le manuscrit, soit la copie du Journal, qui ont été conservés à Genève, et l’on en trouvera de nouveaux fragmens dans les livres ou articles du chanoine Mayjonade, de M. Tisserand, de M. Delbos, de M. de La Valette-Monbrun.