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formes que celle des idées. Une pensée philosophique et morale est à l’origine de toutes leurs œuvres. On pourrait dire que jamais on n’a été plus loin de la doctrine que nous désignons sous le nom d’art pour l’art. Comme aux grands siècles chrétiens, et le rapprochement est nécessaire, quoiqu’il puisse sembler paradoxal, la Révolution considérera que le rôle essentiel de l’art est d’enseigner et de moraliser les hommes et qu’il n’a de raison d’être que par son utilité. David l’a dit lui-même avec : la plus grande netteté : « Le vrai patriote doit saisir avec empressement tous les moyens d’éclairer ses concitoyens et de présenter à leurs yeux les traits sublimes d’héroïsme et de vertu. »

Par toutes ces recherches, le style révolutionnaire a sa place à côté des styles religieux. Je dirai plus, il n’eût pas été impossible, il n’eût pas été illogique que la Révolution se fit au nom de l’idée chrétienne. Dans l’histoire de l’humanité, rien ne ressemble plus à la Révolution française que le mouvement religieux suscité par Luther. Mais l’idée chrétienne était, en France, trop liée à l’idée monarchique, elle avait servi sous Louis XV à couvrir trop de vices pour pouvoir conserver son crédit. On ne pouvait plus s’adresser à elle pour redresser des abus dont elle semblait s’être faite complice. Parmi leurs ennemis, les révolutionnaires ne distinguent pas entre le trône et l’autel, et ils les unissent pour les détruire ensemble. L’art de la Révolution est donc anti-chrétien, mais on ne peut pas dire qu’il soit antireligieux.

Les motifs que les artistes choisissent disent bien ce qu’ils veulent. L’amour de la Patrie, la Justice, la Liberté, l’Amitié, l’Innocence, la Gloire, les Victoires, la Renommée, la Paix : quels admirables sujets ! C’était reprendre ce qu’il y avait eu de plus noble dans les siècles antérieurs, c’était reprendre les personnifications des plus belles Allégories antiques et des Vertus chrétiennes. Quel merveilleux progrès l’humanité ne fait-elle pas en substituant de tels motifs aux Escarpolettes d’un Fragonard, aux Bains de Diane d’un Pater, aux Couchers de la mariée d’un Beaudouin ! Une œuvre telle que la Justice poursuivant le crime de Prud’hon suffirait, à elle seule, à attester toute la grandeur de l’art de la Révolution.

A côté de ces traits d’idéalisme et de moralité, un des caractères fondamentaux de l’art de la Révolution est l’énergie, le culte du devoir et des vertus civiques, de tout ce qui représente