Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/110

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est écrite sur un ton rageur et indigné qui amuse d’abord. On comprend un peu, du reste, son irritation. Il habitait Argos quand arriva Chateaubriand. L’aubaine était rare pour un archéologue de province. À ce visiteur illustre, qui ne pouvait manquer d’être un savant, il comptait bien présenter une à une toutes les pierres du pays, et faire admirer sa science en faisant admirer les lieux. Mais le grand homme passa chez lui en coup de vent, monta sur la hauteur, promena un regard sommaire sur la plaine et l’horizon, se déclara satisfait de ce coup d’œil, et laissa le docteur très déçu. La page qu’il lui consacra dans l’Itinéraire acheva de l’aigrir : elle était d’un dédain parfait et d’une inexactitude toute chateaubrianesque. Elle le représentait comme un Vénitien exilé en Grèce, toujours en mal de Venise, et commençait ainsi : « Je fus reçu à Argos par le médecin italien Avramiotti, que M. Pouqueville vit à Nauplie. » Avramiotti était né à Zante, il était Grec de sang et de religion, n’aimait que son pays, n’avait jamais été à Venise, n’avait jamais vu Pouqueville. A l’en croire, le reste de l’Itinéraire méritait pareille confiance. Pas à pas, sur cette terre de Grèce qu’il connaissait bien, il a poursuivi de sa vengeance érudite ce Français frivole qui avait fait fi de ses conseils. Sans pitié, il souligne ses bévues et ce qu’il appelle lourdement ses « mensonges ; » il ne lui passe aucune négligence, aucune étourderie. Il entend même lui refuser la satisfaction d’avoir dépensé 50 000 francs pour son voyage ; il vérifie les notes, réduit les pourboires, refait les additions et dénonce en ce. faux grand seigneur un voyageur au rabais.

On doit reconnaître qu’il a presque toujours raison ; mais il a raison sans bonne grâce et sans esprit. Il se moque à gorge déployée, lève les bras au ciel avec indignation et en arrive vite aux gros mots. Ce réquisitoire trépidant et grincheux finit par lasser. Il contient pourtant une scène admirable, d’un comique inconscient, mais qui n’en est que plus savoureux. Jamais René n’a été plus franc : il va nous dire sa méthode.

En arrivant dans Argos, il avait été droit chez Avramiotti, à qui il était recommandé. On avait causé, et longuement. Le médecin détaillait les richesses archéologiques de la région, les fouilles et les découvertes récentes, toutes les voluptés qui, sans