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est un homme redoutable, quand on songe surtout que chacun de ces textes, à ce qu’il dit, est passé sous son contrôle, et qu’il a voulu partout atteindre le vrai. Que de fois, avant de commencer un récit ou après avoir brossé un tableau, il fait une pause, et dit solennellement : « Je réponds de sa vérité ! »

Ces déclarations de principes abondent dans l’Itinéraire. « J’ai, assure-t-il, un maudit amour de la vérité et une crainte de dire ce qui n’est pas, qui l’emportent sur toute autre considération ; » et ailleurs : « Je déteste les descriptions qui manquent de vérité ; et, quand un ruisseau est sans eau, je veux qu’on me le dise. On verra que je n’ai point embelli les rives du Jourdain, ni transformé cette rivière en un grand fleuve. J’étais là cependant bien à mon aise pour mentir ; » et ailleurs encore, — dans une note qui serait un peu scélérate, si elle n’était d’abord amusante, — après nous avoir informé qu’il renonçait à publier le résultat de ses recherches sur la Judée, parce que les Mémoires de l’abbé Guénée rendaient son travail inutile : « J’aurais pu, dit-il, piller les Mémoires de l’abbé Guénée, sans en rien dire, à l’exemple de tant d’auteurs, qui se donnent l’air d’avoir puisé dans les sources, quand ils n’ont fait que dépouiller des savans dont ils taisent le nom. Ces fraudes sont très faciles aujourd’hui, car, dans ce siècle de lumières, l’ignorance est grande. » De pareilles professions de foi décourageraient les indiscrets et téméraires enquêteurs, si déjà, dans ce besoin d’assurer sans cesse qu’il n’a point menti et qu’il n’a point volé, alors qu’il aurait pu le faire, nous ne trouvions comme un arrière-goût inquiétant. Mais, lorsqu’on a constaté qu’au moment même où il déclarait si honnêtement : « j’aurais pu piller les Mémoires de l’abbé Guénée sans en rien dire, » il venait précisément de « les piller sans en rien dire, » et de lui emprunter, sans le citer, toute son histoire de Jérusalem sous la domination musulmane, — alors on se sent réconforté, et l’on porte une main plus hardie sur cette forteresse scientifique.

Sans donc se laisser intimider par les protestations de l’auteur, ni décourager par son érudition, le P. Garabed Der-Sahaghian a eu le grand courage, qui a trouvé sa récompense et son plaisir, d’examiner tous les livres cités par Chateaubriand ; et, très vite, il s’est rendu compte que cette majestueuse montagne de documens se réduisait à un monticule assez modeste. Il fallait regarder homme par homme toute