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Il va ! ses flots boueux où courent mille épaves
Grondent en tournoyant sous les arches des ponts,
Et l’on entend monter de leurs remous profonde
Comme un cri de captif qui brise ses entraves.

Soudain, barrant la route au fleuve courroucé,
Tendant vers le fléau ses deux tours en prière,
Notre-Dame, debout comme un veilleur de pierre,
De ses bras de géant semble le repousser.

La vague alors avec des sanglots de colère
En vain monte à l’assaut des quais au front massif :
Le Vaisseau de Paris, immuable récif,
Plante au milieu des flots son dédain séculaire.

L’ouragan passera sans pouvoir l’emporter,
Car le Temps, bâtisseur de la Cité auguste,
Jeta, pour cimenter son assise robuste,
Dans le mortier de l’Homme un peu d’éternité !


UNE MÈRE A SON FILS SUR LE FRONT


Je relis à l’instant, mère, ta bonne lettre. ;
« Mon cher grand, m’écris-tu, je ne sais rien de toi.
Sur la carte où ce soir te cherche en vain mon doigt,
Où te trouver ? Ton mot, qu’on vient de me remettre,
A dessein est muet. Hélas ! on nous défend,
Nous, mères, de savoir où se bat notre enfant.
Mais, puisque trop parler peut, dit-on, nuire aux nôtres,
Je ferai mon devoir, sois sûr, comme les autres.
Mon cœur, du moins, vers toi des pieds du Crucifix
Saura voler dans l’ombre et te trouver, mon fils.
Sans se tromper jamais, ma tendresse obstinée
Au combat, sur la route, au bivouac où tu dors
Pour te réchauffer l’âme et protéger ton corps
Avec toi s’éveillant, finira ta journée. :
Nous ferons la campagne ensemble…- Tu souris ?
Sais-tu que je me bats un peu dans mon Paris ?
Hier, j’ai revêtu mon voile d’infirmière ;
J’arrive à l’hôpital, me crois-tu ? la première,