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soldats ont été réellement commises. Et s’il n’y avait pas d’autre reproche à adresser à des soldats, ivres et grossiers, que d’avoir cédé quelquefois à ces emportemens dont on n’est pas toujours maître sur le champ de bataille, nous nous tairions; mais nous les accusons d’avoir commis systématiquement des actes barbares, d’avoir agi par ordre, par soumission à la discipline, enfin d’avoir aveuglément obéi à des chefs à qui revient dès lors la responsabilité morale de crimes qui n’ont pu être commis que parce qu’ils les avaient ordonnés.

C’est là une des plus effroyables conséquences de ce militarisme allemand, et plus spécialement prussien, où les savans d’outre-Rhin voient la garantie de leur culture. « Il n’est pas vrai, disent-ils, que la lutte contre ce qu’on appelle notre militarisme ne soit pas dirigée contre notre culture, comme le prétendent nos hypocrites ennemis. Sans notre militarisme, notre civilisation serait anéantie depuis longtemps. C’est pour la protéger que le militarisme est né dans notre pays, exposé comme nul autre à des invasions qui se sont renouvelées de siècle en siècle. L’armée allemande et le peuple allemand ne font qu’un. »

Ici il faut distinguer pour s’entendre. Nous disons volontiers nous-mêmes que l’armée française et le peuple français ne font qu’un et, en parlant ainsi, nous croyons très bien dire. Il est certain qu’un peuple, s’il veut protéger sa civilisation, doit être à même de se faire respecter et par conséquent d’être fort. Pour cela il faut une armée. L’abus, le danger commencent dans un pays lorsque l’armée y devient l’élément prépondérant et qu’elle a la prétention de faire la loi au lieu de se borner à l’exécuter. C’est ce qui est arrivé en Allemagne, après des succès militaires qui l’ont grisée. Alors l’armée portée à sa perfection est devenue un État dans l’État, fonctionnant pour elle-même et finalement assez sûre de son invincible puissance pour se croire capable de plier le monde entier sous son joug. On sait aujourd’hui avec quel soin elle avait, jusque dans le plus menu détail, tout disposé pour réaliser son idéal de domination : avant l’arrivée des soldats, l’armée des espions avait préparé les voies. Par une intoxication qui a atteint l’Allemagne jusque dans les moelles, le rêve malsain de son armée est devenu le sien et nous sommes en ce moment en présence de ce phénomène, si bien décrit par M. Boutroux, qui, au nom de sa culture propre, a dressé le pays tout entier contre le reste de l’Europe, notamment contre les nations auxquelles il doit cette culture qu’il n’a guère développée et perfectionnée que dans l’ordre des applications pratiques, Nous voudrions bien savoir,