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trahissent le sourire de l’auteur et sa discrétion amusée par tel détail qu’il connaît, mais qu’il veut taire. Comme il arrive pour nombre de portraits ressemblans, le modèle s’est fâché et n’a pas voulu se reconnaître. Le livre de M. Steed a été interdit par la censure autrichienne ou, du moins, n’a été reçu qu’à correction. Il se peut que les spectateurs et les critiques indépendans lui reprochent, en revanche, son désir de nous présenter en jeunesse cette noble et vieille dame que l’on nous montre, d’ordinaire, plus proche de la décrépitude et de la sénilité que de l’adolescence ou même de l’âge mûr.

M. Steed l’a vue jeune et fort belle encore. Il la croit toujours sujette à « des crises de croissance plutôt que de déclin. » Il partage les espoirs de ceux qui, l’ayant longtemps admirée, lui découvrent toujours les mêmes charmes et, sous les rides dissimulées, le même âge. Quand la malheureuse impératrice Elisabeth tomba en 1898 sous le poignard de Lucheni, l’Europe entière, qui pourtant la voyait sur le trône depuis un demi-siècle bientôt et la savait grand’mère, fut étonnée d’apprendre qu’elle avait passé la soixantaine : la grâce de son visage, la noblesse de son allure, la souplesse toute sportive encore de ce corps élégant faisaient croire à son éternelle jeunesse.

Depuis le Congrès de Vienne jusqu’en cet été de 1914, la monarchie des Habsbourg a été pour les diplomates anglais la plus sûre et la plus précieuse des amies sur le Continent : elle leur est toujours apparue sous ses traits de 1815, puisqu’elle devait continuer de tenir son rôle de 1815 dans leurs combinaisons. La diplomatie d’Édouard VII voulait encore agrandir l’importance de ce rôle : ce n’est pas la Russie et la France seulement que le roi-diplomate espérait fédérer à la Grande-Bretagne pour la défense des libertés européennes ; Édouard VII, s’il eût vécu, eût peut-être gagné la coopération des Habsbourg à cette campagne d’affranchissement. M. Steed a été à Vienne l’un des témoins, l’un des collaborateurs de la politique d’Édouard VII ; il a cru, il continue de croire à la pérennité de l’Autriche : « Sans doute, des erreurs, des faiblesses, des préjugés chez le monarque, les hommes d’État ou les races peuvent conduire, dit-il, la monarchie au bord de la ruine ; un désastre peut paraître présager l’accomplissement des prophéties de désintégration ; mais, pendant dix années d’observation et d’expérience constante, dix années de luttes et de crises, il ne m’a