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cesse tiraillée entre les directions de trois états-majors, elle était, par le fait des réclamations magyares, en un perpétuel état de rivalités intestines et de mésentente : « Cette tendance magyare à miner à la fois l’unité de l’Armée et de la Monarchie pourrait bientôt, — écrivait M. Steed en 1913, — entraîner les Magyars dans de sérieux malheurs et non pas immérités. » Il semble que la prophétie soit en train de se réaliser.

Mais ce que M. Steed nous a dépeint surtout, dans cette armée ou ces armées austro-hongroises, c’est « le populaire et puissant soutien » qu’elles sont pour l’État : « Par-dessus tout, l’armée nourrit le sentiment dynastique : elle est l’armée Impériale et Royale ; elle inculque aux recrues de toutes races le sens de l’unité et le dévouement à la dynastie. » Ses officiers et sous-officiers, recevant la solde du Maître et vivant de son service, se considèrent comme ses gens à Lui ; mais ils ne forment pas une caste en dehors du peuple ; ils en restent partie intégrante par leurs soucis comme par leur recrutement : « La masse des officiers austro-hongrois est tirée, non pas, comme en Allemagne, de l’aristocratie et de la noblesse, mais plutôt des classes moyenne et inférieure : travailleurs pour la plupart, ils vivent durement, ne sont pas gâtés par le luxe et, tâchant à se suffire avec leur maigre solde, ils restent plus près du soldat que l’officier allemand. »

La plupart des officiers et sous-officiers appartiennent d’ailleurs à des familles militaires qui, de père en fils, se succèdent à la caserne, comme les Habsbourg sur le trône : « Nombre de familles de modeste fortune ont été militaires pendant des générations, envoyant tous ou presque tous leurs fils dans l’armée et la marine. Ce fonds de familles militaires est une des grandes réserves de la dynastie. Porter la casaque de l’Empereur est devenu pour elles une seconde nature : on ne se contente pas d’y être violemment noir et jaune, — aux couleurs autrichiennes ; — on y est aussi ce que l’empereur François appelait patriote pour Moi ; leur esprit sert de levain à la masse militaire, gagne les camarades dépourvus de traditions de famille et s’infiltre jusqu’aux soldats ; c’est dans leur camp qu’est l’Autriche. »

Seconde colonne de l’État : l’Église. Le décret de Léopold du 3 mars 1792 énonçait : « Quoique le prêtre soit un pasteur d’âmes, comme il doit toujours l’être, il faut le considérer