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LA QUESTION D’ALSACE-LORRAINE.

divers autres romans alsaciens, Au service de l’Alsace, Jeune Alsace, et de quelques brochures ou pamphlets qui ne doivent pas être très goûtés en Allemagne. Je ne dirai rien même de Colette Baudoche, parce que ce que j’en pourrais dire, j’aime mieux le dire à propos d’une œuvre de plus haute et de plus large portée du même écrivain. Et de toute la « littérature » romanesque qu’a fait éclore ce passionnant sujet, je ne retiendrai que trois œuvres, toutes trois fort attachantes, de mérite littéraire un peu différent, — mais je ne les étudierai pas en critique littéraire, — et qui me paraissent offrir ce particulier intérêt de poser sous ses principaux aspects le problème alsacien-lorrain : les Oberlé, de M. René Bazin ; Au service de l’Allemagne, de M. Maurice Barrès ; et Juste Lobel, Alsacien, de M. André Lichtenberger.

I

Les Oberlé sont le premier en date des trois romans que je me propose d’examiner, et, par le talent de son auteur comme par la manière dont s’y trouve envisagée la question d’Alsace-Lorraine, l’ouvrage s’est si bien imposé à la pensée des divers groupes de lecteurs, que les successeurs ou les héritiers de M. René Bazin, même en le contredisant, se sont inspirés de lui. Au service de l’Allemagne et Juste Lobel, Alsacien ne seraient assurément pas tout ce qu’ils sont, si les Oberlé n’existaient pas.

J’en rappelle brièvement l’ingénieuse, quoique peut-être trop symétrique donnée. M. Bazin met en scène trois générations d’Alsaciens qui, comme toutes les générations du monde, sont en réaction les unes contre les autres. C’est une loi de nature que les fils, pour ne pas ressembler à leurs pères, s’avisent de ressembler à leurs grands-pères. M. Philippe Oberlé, ancien député protestataire au Reichstag, avait en 1850 fondé à Alsheim une scierie mécanique dont, après la guerre, il a transmis la direction à son fils. Celui-ci, M. Joseph Oberlé, homme d’autorité, ambitieux, a tout naturellement évolué dans le sens de ses intérêts, et, au grand scandale de son père, de sa femme et de nombre de ses amis, il s’est rallié au nouveau régime. Ses deux enfans, Jean et Lucienne, ont été élevés en Allemagne et n’ont jamais vu la France. Lucienne partage toutes les idées de son père, et, recherchée en mariage par un officier allemand, elle