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Est-ce là tout cependant ? M. Bazin, qui a étudié de très près, et sur place, l’âme alsacienne, — il a prononcé sur ce sujet une remarquable conférence, et qui serait a rapprocher du roman[1], — a très bien vu qu’il y avait encore une façon de poser le problème alsacien-lorrain, et, sans y appuyer très longuement, sans l’incarner, si je puis ainsi dire, dans un personnage essentiel de son livre, il la fait indiquer très nettement, au cours d’une conversation mondaine, par un de ses personnages épisodiques. Laissons parler cet artiste alsacien à la table du conseiller Brausig :

Nous autres, Alsaciens de la génération nouvelle, nous avons constaté, au contact de trois cent mille Allemands, la différence de notre culture française avec l’autre. Nous préférons la nôtre, c’est bien permis ? En échange de la loyauté que nous avons témoignée à l’Allemagne, de l’impôt que nous payons, du service militaire que nous faisons, notre prétention est de demeurer Alsaciens. Et c’est ce que vous vous obstinez à ne pas comprendre. Nous demandons à ne pas être soumis à des lois d’exception, à cette sorte d’état de siège, qui dure depuis trente ans ; nous demandons à ne pas être traités et administrés comme « pays d’empire, » à la manière du Cameroun, du Togoland, de la Nouvelle-Guinée, de l’archipel Bismarck ou des îles de la Providence, mais comme une province européenne de l’Empire allemand. Nous ne serons satisfaits que le jour où nous serons chez nous, ici, Alsaciens en Alsace, comme les Bavarois sont bavarois en Bavière, tandis que nous sommes encore des vaincus sous le bon plaisir d’un maître. Voilà ma demande.

Elle est parfaitement légitime, cette demande, et elle résume assez bien le programme d’un nombre, ce semble, assez considérable d’Alsaciens-Lorrains. Ces justes revendications, M. Maurice Barrès les a écoutées, et il les a très habilement personnifiées dans le volontaire Ehrmann, le héros d’Au service de l’Allemagne.

II

S’il me fallait une « transition » pour passer du livre de M. René Bazin à celui de M. Maurice Barrès, elle me serait tout naturellement fournie par un remarquable et fort curieux

  1. Cette conférence sur l’Âme alsacienne, prononcée à la salle de la Société de Géographie (Société des conférences) le 18 février 1902, d’abord éditée en brochure par la maison de la Bonne Presse, a depuis été recueillie dans les Questions littéraires et sociales (Calmann Lévy, 1906).