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portrait se vend encore dans cent magasins du boulevard. La salle est parfaitement claire, et il n’est pas nécessaire d’y dévisager les gens pour les reconnaître, Tout à coup, une Anglaise tenant par la main une enfant, nous croise et nous frôle. Croyant avoir vu cette figure à Florence, je dis tout bas à la Reine de baisser son voile ; mais dans l’instant même, elle murmure : « Sortons. » Une porte vers laquelle elle se jette lui résiste, ce qui attire sur elle l’attention de toute l’assistance ; un homme s’approche et montre la véritable issue, c’est le colonel Voutier, habitué du salon de la Reine à Rome durant ces dernières années. Elle fuit devant lui avec une vitesse incroyable ; il la suit impitoyablement, et quand nous nous jetons dans notre fiacre, se montre encore debout sur la porte, le doigt posé sur la bouche, comme pour promettre qu’il nous gardera le secret.

La Reine, aux abois, et craignant d’autres mauvaises rencontres, voulait rentrer tout de suite à l’hôtel. Je l’en dissuade, ayant remarqué un jeune garçon qui s’obstine à courir après la voiture, malgré les coups de fouet du cocher, et qui sans doute est envoyé par le colonel pour savoir où nous logeons. Nous arrêtons rue de Richelieu, pour appeler à nous ce garçon et le renvoyer au Diorama chercher un objet soi-disant oublié par nous ; nous lui donnons en même temps une fausse adresse, pour le dépister. Mais à peine a-t-il vu le fiacre se ranger le long du trottoir que, jugeant sa mission remplie, il est retourne à toutes jambes là d’où il était venu. Il ne nous reste plus qu’à nous débarrasser du fiacre lui-même, dont le colonel a pu noter le numéro, dont le cocher ne doit pas connaître le nom de notre hôtel. Nous quittons cet homme au Palais-Royal ; la Reine effarée court dans la foule, pousse un instant la porte d’un café et tombe à la fin dans la boutique d’un bijoutier. Elle y achète quelque chose, sans bien savoir quoi, sort sur le passage, après être entrée par la galerie, et prend la première voiture qui s’offre pour se faire reconduire à la maison.


Jeudi, S mai.

Après la pétition du mois d’octobre dernier pour le retour des Cendres, après le discours du général Lamarque et toute l’agitation qu’une partie de la presse a menée sur ce sujet, le ministère de M. Casimir Perier n’a pu faire moins que de publier l’ordonnance du 8 avril dernier, relative au