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le reste de la France. Laisser faire de ces provinces une seconde Pologne, n’est-ce pas ménager l’heure présente pour empirer les années qui vont suivre[1] ? » Nobles et clairvoyantes paroles, qui prouvent combien, par certains sentimens profonds, Solange était la fille de sa mère, et qu’elle ne se flattait pas en vain de sentir parfois bondir en ses veines le sang du vainqueur de Fontenoy.

Après la guerre, ce fut la Commune. Solange écrit alors des lettres déchirantes. George Sand fut atteinte au fond de l’âme. Elle, la républicaine, la socialiste d’optimisme et de bonté souveraine, comment eut-elle reconnu son temps et son pays ? Ce cadavre pantelant était-il bien la France ? Est-ce là que devaient aboutir trois révolutions, trois générations qui avaient pensé, lutté, peiné, souffert pour l’amélioration de la société, l’instruction du peuple, la réconciliation des classes et la fraternité des nations ? Allait-on retourner à la barbarie ? Tout était blessé en elle, le penseur comme la femme, la raison comme l’âme. De désespoir, elle crut mourir.

Cependant, le premier moment de stupeur passé, elle se ressaisit. A l’accablement succéda le recueillement. Et, regardant comme immortelles les idées auxquelles elle avait consacré sa vie, soutenue d’une foi invincible, elle tendit de nouveau les ressorts de son noble esprit. Par-dessus les réalités sanglantes, par-delà le présent borné et obscur, elle apercevait de nouveau les clartés d’avenir à la lueur desquelles elle s’était toujours guidée, même dans ses erreurs les plus mémorables. N’était-ce pas elle qui avait écrit, au lendemain même du coup d’Etat, cette ligne lapidaire : « Il faut accepter le fait, sans jamais douter de l’idée ? » Ne disait-elle pas, à la même date, en présence des démentis que la politique infligeait à ses rêves de liberté : « Il faut des siècles pour toute réforme fondamentale[2] ? » Ainsi tout grave désordre travaille à l’avancement de l’ordre, toute tyrannie intolérable hâte d’autant le triomphe de la liberté. Et nous voilà dans les itus. et reditus de Pascal : tout à l’heure « moins que jamais, » et demain « deux fois plus ! » Après les déchiremens de 1874, dès 1872, George Sand adressait cet appel -aux chefs des groupes, quels qu’ils fussent : « C’est à la fusion sincère des partis qu’il faut demander de préparer ce grand

  1. Lettre inédite (6 février 1871).
  2. Souvenirs et idées, p. 113, 118.