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Dans cet enseignement, le principe actif appartient aux lettres, parce que l’objet de toute éducation est de préparer le jeune homme à la vie ; et les lettres sont le miroir de la vie. C’est à elles qu’est confié le soin de façonner l’esprit, parce que seules elles peuvent lui donner la souplesse et la variété des ressources, la finesse et la pénétration ; seules elles peuvent développer, dans un ensemble complet et dans un juste équilibre, toutes ses facultés, l’intelligence et la volonté, comme l’imagination et la sensibilité. Donc elles sont au centre de l’édifice. L’histoire et les sciences ne leur ont été ni sacrifiées, ni même subordonnées, mais elles sont groupées et ordonnées autour d’elles. Un tel enseignement, bien loin d’être artificiel et arbitraire, est calqué sur la réalité et tient compte de toutes ses exigences. Car avant d’être un savant, un ingénieur, un médecin, un architecte, il faut être un homme. Et beaucoup mourront sans avoir jamais eu à utiliser les notions qu’enseignent la géométrie, l’algèbre ou la chimie : mais tout au long de leur vie ils ont eu à dépenser ce trésor d’observation, de sagesse, de rêve, de poésie qui est enclos dans la littérature. C’est pourquoi l’enseignement classique a reçu des hommes reconnaissans ce beau nom d’Humanités. Il a traversé toute notre histoire, survécu à toutes ses tourmentes, et, l’une après l’autre, toutes les générations se le sont transmis. Il s’est accommodé de tous les régimes, et France de Louis XIV ou France de la Révolution, il suffisait que ce fût la France pour qu’il s’accordât avec elle. Il n’a rien de contraire aux conditions d’existence des démocraties modernes, puisqu’il est accessible à tous ; . il n’est pas le privilège d’une élite : il est vrai seulement qu’il sert à former l’élite. Répandu dans cette élite tout entière, il se communique par elle à la masse et entretient ainsi dans toute la nation un même esprit. Quant aux services qu’il nous a rendus, est-il besoin de les énumérer ? Il n’est que de voir le prestige dont jusque aujourd’hui l’esprit français n’a pas cessé de jouir à travers le monde.

Or, tandis que l’enseignement classique semblait en dehors et au-dessus de toutes les attaques, l’histoire de l’enseignement en France depuis quinze ans tient dans la lutte engagée contre lui et qui vise, de façon plus ou moins directe, à sa destruction. Ce qui est digne de remarque, c’est que l’exemple de l’hostilité la plus âpre et la plus agissante est venu de la Sorbonne. Elle compte parmi ses maîtres quelques-uns des plus fins lettrés de ce temps ; et ils se retournent contre la culture qui les a faits ce qu’ils sont, pareils à ces enfans qui battent leur nourrice, drus et forts de son lait. Elle qui, de par tout