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l’enfant à mettre en œuvre le savoir acquis, à dominer sa matière et manifester quelque mérite personnel. C’est cette ébauche de la personnalité qu’elle avait sans cesse en vue. C’est à cet éveil de la personnalité qu’elle tendait sans cesse. Le jeune homme dont elle avait guidé l’enfance et l’adolescence, elle voulait qu’il eût appris non tant les lettres, l’histoire ou les sciences, qu’à être quelqu’un et à être lui-même… On m’objecte que si elle y réussissait avec quelques-uns, il y avait les autres, les médiocres et les mauvais, les indifférens et les réfractaires, l’armée des paresseux et des cancres. Mais ces autres-là, on les retrouvera toujours et toujours pareils à eux-mêmes : le mode d’enseignement n’y fait rien. Et ce n’est pas leur niveau qu’il faut prendre pour y abaisser la mentalité du pays. Je dirai plus : sur ceux-là même qui semblaient s’en désintéresser, un enseignement facile, accessible à tous, souriant et humain, mettait quelque empreinte ; collégiens ignorans, ils étaient de ces ignorans qui, plus tard, quand ils ne seront plus au collège, pourront devenir des lettrés.

Cet enseignement avait-il besoin d’être modifié, adapté aux conditions de l’époque moderne ? Sans aucun doute et cela va sans dire. C’est la loi de nature que tout ce qui vit ne vive qu’en se transformant. Mais, en le remaniant de fond en comble, on l’a désorganisé et provoqué en lui ce malaise qui s’appelle l’impossibilité de vivre. Tout ce qui le constituait essentiellement a été supprimé. Plus de professeur principal et surtout plus d’importance principale accordée au professeur de lettres. Plus de classes de deux heures, permettant au maître de développer sa pensée, à l’élève de passer d’un exercice à l’autre : les classes de maintenant durent une heure et l’heure dure cinquante-cinq minutes. On venait de se mettre en train ; l’intérêt commençait à naître : il faut s’interrompre. C’est un perpétuel va-et-vient, une confusion, un tohu-bohu : les maîtres se repassent l’un à l’autre des élèves qu’ils ne connaissent pas et dont ils ne sont pas connus : on songe aux brèves et déconcertantes visions du cinématographe, à la courbature et à l’ahurissement qui en résultent. Ajoutez qu’une même classe comporte quatre variétés de classes désignées par quatre lettres de l’alphabet ; et, par exemple, la « première A » n’a guère plus de rapports avec la « première D » que le Chien constellation n’en peut avoir avec le chien animal aboyant. Il y a quatre cycles qui sont : latin-grec, latin-langues vivantes, latin-sciences, sciences-langues. Quelle complication, et pour des esprits français amoureux de simplicité ! Si encore cette chimie enseignante n’était