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elle ne se satisfait pas d’une accumulation, d’un entassement de connaissances, elle veut un ordre, des idées maîtresses, clairement et sobrement énoncées. En outre, là où l’esprit allemand ne vise qu’à une description des faits, l’esprit français réclame un aliment pour la sensibilité, pour le goût. » Il y a là plus qu’une différence : une hostilité irréductible. Ce sont deux ennemies : l’avance de l’une est faite du recul de l’autre. Pendant trop longtemps, la culture française a reculé devant la culture allemande. Nous demandons aux chefs de notre enseignement qu’ils fassent reculer la culture allemande, comme les chefs de notre armée font reculer l’armée allemande.

Nous le demandons parce que l’avenir de l’esprit français en dépend. Cet esprit, dont nous sommes fiers et auquel, en tout état de cause, nous devons tenir, puisqu’il est nôtre et qu’il est nous-mêmes, ce serait une grave erreur de le considérer uniquement comme un don de la race, sans y voir aussi un produit de l’éducation. Il ne s’est pas fait en un jour et nous pouvons perdre un peu de lui tous les jours. Il n’est pas plus une création spontanée qu’il n’est un trésor intangible. Les qualités dont il est la réunion sont en partie le résultat d’une lente élaboration à travers les siècles, d’une discipline attentive et continûment observée. Il convient donc que l’enseignement aille dans leur sens, les favorise, les maintienne en nous et les y fortifie. Les contrarier et les combattre, ce serait une sorte d’impiété. Les défenseurs les plus acharnés des récentes méthodes universitaires ne contestaient pas qu’elles ne fussent au rebours de nos tendances naturelles. Et ils s’en applaudissaient, car, disaient-ils, elles font contrepoids : l’esprit français est brillant et léger, — c’était déjà l’opinion de Mme de Staël ; — un peu de lourdeur, d’où qu’elle vienne, ne lui fera pas de mal… C’est un argument qu’on ne verra plus reparaître dans les discussions.

Nous le demandons, parce que l’avenir du caractère français en dépend. Entre les qualités intellectuelles et les qualités morales d’un individu ou d’un peuple, il n’y a pas de cloisons étanches. Le cerveau influe sur le cœur, si certaines pensées viennent du cœur. Nous sommes une nation chevaleresque ; c’est notre humeur, mais c’est aussi l’effet de cette culture désintéressée qui poursuit le beau et le bien plutôt que l’utile. Nous avons la bravoure en partage : vienne l’occasion, ceux même en qui on avait le moins soupçonné la flamme cachée se révéleront des héros : n’est-ce pas que Plutarque et Corneille nous ont été dès l’enfance des professeurs d’héroïsme ? Nous avons du bon sens et parfois nous l’aiguisons d’esprit : n’est-ce pas