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développer depuis un demi-siècle, produisant de plus beaux fruits d’année en année. Il s’agit de ce que les Anglais appellent le « Service Secret, » par où s’entend l’espionnage, exercé aussi bien avant que pendant la guerre. Écoutons ce que nous apprend, à ce sujet, l’auteur de l’Armée allemande vue du dedans :


De toutes les machines stratégiques dont fait emploi le gouvernement allemand, aucune n’est organisée d’aussi merveilleuse façon que le Service Secret. Déjà le Grand Frédéric se vantait volontiers de « n’avoir qu’un seul cuisinier et d’avoir cent espions. » Le général Radowitch écrivait de son côté : « Offrir à une nation les avantages d’un service secret d’espionnage, ce n’est pas dépenser de l’argent : on ne saurait, au contraire, imaginer un meilleur placement. » Se fondant sur ce principe, l’Allemagne dépense tous les ans vingt millions de francs pour l’entretien d’un immense corps d’espions, s’étendant depuis le plus haut fonctionnaire jusqu’à l’obscur ouvrier d’usine. Ces agens opèrent en Russie, en France, en Angleterre, aux États-Unis ; et bon nombre d’entre eux ne sont pas Allemands. Toutes les nationalités du monde fournissent de serviteurs payés le Bureau d’Espionnage de Potsdam…

Le Service Secret allemand est réparti en plusieurs catégories, suivant l’ordre des renseignemens sollicités : il y a la catégorie navale, la catégorie militaire, les catégories commerciale, diplomatique, etc. Un point important dont mes compatriotes anglais n’ont pas tenu compte, c’est que tout Allemand un peu intelligent est un espion, payé ou gratuit : car tout Allemand est instruit à regarder comme un devoir, pour lui, de renseigner les autorités de son pays concernant la moindre affaire étrangère qui aura quelque chance de les intéresser.

Ai-je besoin d’ajouter que l’emploi de moyens détournés est indispensable, dans ce Service Secret, à la fois pour ce qui est d’acquérir des renseignemens, de les transmettre au bon endroit, et d’en rémunérer le fournisseur ? Le traitement d’un espion attitré varie entre 250 et 500 francs par mois. Souvent l’espion reçoit l’argent nécessaire pour l’installation d’un petit commerce, d’un modeste comptoir, aux allures innocentes ; ou bien, lorsqu’il s’agit d’une femme, celle-là est mise à même de diriger un établissement d’une espèce beaucoup moins innocente. Le traitement est toujours transmis de main en main ; d’ordinaire, c’est une femme qui se trouve chargée d’apporter, d’Allemagne, une grosse somme destinée au contrôleur de telle ou telle section, qui se charge, à son tour, de répartir la somme entre ses subordonnés. Les mêmes intermédiaires ont la charge de transmettre les divers rapports ; et telle est la méfiance du gouvernement à l’égard de ses serviteurs qu’un système de contre-espionnage ne cesse pas de surveiller les espions eux-mêmes, ainsi que les courriers.

Dans le rapport qu’il rédige, l’espion ne doit omettre aucun détail. Supposons-le s’occupant d’étudier l’existence intime d’un jeune officier qui semble posséder le moyen de se procurer des documens confidentiels ! l’as un individu n’est trop insignifiant pour l’espion allemand ; pas un délai ! ne doit jamais lui paraître trop banal. Avant peu, donc, notre espion