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La jeune femme que je venais d’épouser était Anglaise, et il lui a fallu un long « entraînement » pour s’accoutumer aux façons des cuisinières allemandes. La première de ces personnes que nous avons prise à notre service nous avait simplement déclaré, par manière de recommandation, qu’elle avait pour « fiancé » un sergent de mon escadron. Mais voilà qu’un matin, en revenant de la « parade, » j’ai appris que notre cuisinière désirait me parler ! Tout en larmes, la pauvre fille m’expliqua longuement que son sergent avait profité d’une de nos absences pour transmettre ses faveurs à un nouveau « trésor. » Elle était allée le voir à son quartier, l’avait traité suivant ses mérites, et avait signifié aux autres sous-officiers l’opinion qu’elle avait conçue de lui désormais. Et maintenant elle m’attendait pour avoir mon avis. Comme je voyais qu’elle n’avait pas même commencé à s’occuper de notre déjeuner, et comme je ne pouvais songer à entreprendre sur-le-champ l’œuvre de réconciliation que je devinais bien qu’elle avait espérée de moi, je lui suggérai que le plus sage était, pour elle, d’oublier un gaillard qui, plusieurs fois déjà, à ma connaissance, avait ainsi changé de « trésor. » Sur quoi, notre cuisinière, un peu consolée, me demanda quel était celui de mes autres sergens que je lui conseillais de choisir pour ami. Elle m’avoua que, de son côté, elle avait jeté les yeux sur le porte-drapeau : et ce ne fut pas sans peine que je parvins à lui expliquer mon impuissance à l’aider dans un choix aussi délicat. L’excellente fille ne pouvait pas s’enlever de la tête que la cuisinière d’un officier devait nécessairement avoir pour amoureux un des sous-officiers de l’escadron de son maître. Enfin mes discours semblèrent lui rendre du calme, et j’eus le plaisir de la voir procéder à la confection de notre déjeuner. Quelque temps après, elle m’aborda avec un visage épanoui pour m’apprendre qu’elle avait retrouvé un « fiancé. » Elle s’excusait de l’avoir pris dans l’infanterie : mais elle n’avait pu résister à ses tendres instances ! Notre repas, ce jour-là, nous fut servi avec un soin tout particulier.


Le chapitre consacré par l’auteur anglais aux Manœuvres de l’armée allemande est également rempli d’observations instructives. Nous y apprenons, par exemple, que l’un des motifs qui contribuent à affaiblir la portée pratique de ces manœuvres est la présence inévitable de l’Empereur à la tête de l’une ou de l’autre des deux armées opposées. Presque forcément, il faut que cette armée-là obtienne la victoire ; et comme, dans cette armée, aucun général n’oserait désobéir aux volontés de l’Empereur, voire seulement les critiquer, on conçoit sans peine les inconvéniens qui résultent d’une telle situation pour l’ensemble de la grande « répétition » annuelle que constituent les manœuvres d’automne. Les généraux de l’armée « inspirée » par l’Empereur sont obligés d’exécuter maints mouvemens qu’au fond de leur cœur ils tiennent pour des fautes ; et, d’autre part, les chefs de l’armée adverse sont obligés de commettre autant de fautes qu’en exigera la défaite, quasiment imposée, de leurs troupes. Car chacun