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comprendre, sentir, admirer, et qui n’oubliera pas. Mais M. le Président de la République devait aussi parler à notre armée, ou plutôt nous parler d’elle et il l’a fait dans une lettre qu’il a adressée à M. le Ministre de la Guerre. « A mesure, a-t-il dit, que se développent les hostilités, le soldat français, sans rien perdre de son ardeur et de sa bravoure, acquiert plus d’expérience et adapte mieux ses vertus naturelles aux exigences des opérations militaires. Il conserve une incomparable force d’offensive et s’accoutume en même temps à la patience et à la ténacité. Sous le feu de l’ennemi, s’établit entre le chef et les hommes une intimité confiante qui, loin d’affaiblir la discipline, l’ennoblit encore par la conscience éclairée de la solidarité dans le dévouement et dans le sacrifice. Chaque fois qu’on revient au milieu des troupes, on est émerveillé par cette abolition totale de l’intérêt personnel, par ce glorieux anonymat du courage, par la grandeur de cette âme collective où se fondent tous les espoirs de la race. » Ce sont bien là, en effet, les caractères distinctifs de nos soldats de 1914 : ils ont gardé les qualités de leurs pères et ils en ont acquis de nouvelles, rendues nécessaires par les transformations de la guerre moderne. Ils sont devenus patiens, comme le pays lui-même ; aucune tâche ne les rebute, aucune fatigue ne les lasse : et ils avancent toujours.

Pendant ce temps, le pays travaille. Il ne songe pas seulement à aujourd’hui, mais encore à demain et il le prépare sans se laisser détourner de sa tâche quotidienne, au milieu de la plus effroyable tourmenté. Il y a dans la lettre de M. le Président de la République une phrase qui nous a frappé parce qu’elle est la constatation d’un fait que M. Poincaré n’a certainement pas inventé et qui est une chose vue. « Lorsque, dit-il, à portée des projectiles, devant un horizon que les éclatemens d’obus couvrent de fumée ou déchirent de lueurs, on voit des paysans tranquilles pousser leur charrue et ensemencer leur sol, on comprend mieux encore combien sont inépuisables sur notre vieille terre de France les provisions d’énergie et de vitalité. » Ce paysan courbé sur sa charrue représente la continuité des œuvres de vie au milieu des œuvres de mort. Il est bon, il est réconfortant de voir, au sein même des destructions qui s’accumulent dans le présent, les réserves de l’avenir qui se reconstituent.


Nous en avons d’autant plus besoin que le champ de la guerre, déjà si large et si vaste, semble devoir s’élargir encore. La Turquie vient de sortir, par un acte de piraterie, de la neutralité où elle