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popularité de bon aloi qui, au moment de l’avènement, devint un universel enthousiasme. En vérité, jamais roi ne fut plus populaire qu’Albert Ier quand il monta sur le trône. Tout son passé rassurait. Peu soucieux de vaine gloire, ses trop sages sujets n’attendaient guère de lui que de la tranquillité.


C’est qu’ils ne le connaissaient pas. Se connaissait-il lui-même ? Peut-être, s’il n’avait été marqué par le destin pour le magnifique et terrible rôle que nous lui voyons jouer, se fût-il contenté de répondre aux modestes espérances qu’on avait mises en lui à ses débuts. Que sait-on des princes qui ne sont pas encore entrés dans l’histoire ? Qu’eût-on pu connaître de celui-ci, à qui toutes les initiatives trop personnelles étaient interdites ? Pourtant, ceux qui l’avaient approché d’un peu près avaient confiance. Ils n’auraient pas osé prédire qu’il y avait en lui l’étoile d’un grand roi, mais ils assuraient qu’il y avait l’étoffe d’un bon roi. Son éducation, dirigée avec un bon sens très ferme par le colonel Jungbluth, depuis général, et qui fut chef de l’état-major de l’armée belge, avait été fort soignée. Ce mentor excellent, qui est resté pour son disciple un ami intime et est encore aujourd’hui son conseiller ordinaire, sut développer avec beaucoup de méthode les qualités d’application et de sérieux qui forment le fond du caractère royal. Grâce à lui, le jeune prince grandit très ignorant des intrigues et même des plaisirs de Cour, plus curieux de voir des hommes que des courtisans, plus désireux d’étudier des faits que de mettre des théories à l’épreuve. Grâce au colonel Jungbluth, grâce aussi à.M. Sigogne qui fut son précepteur attentif, l’esprit du prince fut attiré de bonne heure vers les problèmes sociaux qui préoccupent le monde moderne. Suivant les formules simplistes qu’aiment les foules, on répétait quelquefois en Belgique que le prince Albert serait un roi socialiste. Cela revenait à dire que, selon les traditions d’une partie de sa famille, il admettrait le développement de la démocratie comme un fait nécessaire de l’évolution des peuples modernes : il rêvait de le concilier avec la monarchie, élément de continuité et de stabilité sociales.

Ces idées, qui furent exposées dans un livre de M. Sigogne, passaient, avant son avènement, pour celles du roi Albert.