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ont vu les Jésuites allemands organiser une Université au cœur de Tôkyô, les Pères du Verbe Divin allemands, qui sont nos ennemis les plus acharnés, s’installer sur la côte occidentale, et les Franciscains allemands dans l’île de Yeso. La presse japonaise a pu écrire que le protectorat des catholiques de l’Extrême-Orient serait désormais confié à l’Empereur d’Allemagne. Et les intérêts de l’esprit français aussi, sans doute !

Il y a pire. Les Marianites français ont fondé à Tôkyô un collège que fréquentent huit cent cinquante élèves, auquel le gouvernement japonais accorde les mêmes prérogatives qu’à ses propres établissemens, et où, malgré les nouvelles tendances, ils ont maintenu comme obligatoire l’étude de la langue française. C’en est le dernier rempart. Nous étions à la veille de le démanteler ou, pour mieux dire, nous avions déjà commencé. Leur maison de recrutement étant supprimée en France, ils seraient bientôt dans l’impossibilité de remplacer leurs vides par des Français. Le Supérieur, un Alsacien, l’abbé Heinrich était venu trouver notre ministre des Affaires étrangères : « Notre œuvre ne mourra pas, Monsieur le Ministre : les œuvres catholiques ne meurent pas. Mais c’est la langue française qui est menacée d’y mourir. J’ai encore des Alsaciens. Après eux, je serai réduit à m’adresser aux Allemands. » Et le ministre, qui connaît l’Extrême Orient, avait levé les bras au ciel : « Je sais, je sais ! Mais que puis-je ? »

Tout cela me paraît aujourd’hui de l’histoire ancienne, oh ! très ancienne ! Depuis vingt ans, partout où je suis allé, en Europe, en Amérique, en Extrême-Orient, j’ai retrouvé l’Allemand insolent, haineux, malhonnête. Il ne se contentait pas d’exploiter nos fautes, ce qui était son droit : il se montrait aussi habile à falsifier notre histoire qu’à contrefaire nos produits. Partout je l’ai entendu proclamer ou insinuer l’idée de notre décadence. Docteurs des Universités ou commerçans de Hambourg, diplomates ou émigrans, un égal mépris de la vérité les animait contre nous. Ils apportaient dans la mauvaise foi et dans l’improbité une discipline vraiment stupéfiante. Mais je n’avais jamais été à même de revoir un pays où nous occupions naguère un rang très honorable, et d’y pouvoir constater ce que ces quinze dernières années nous y avaient enlevé de prestige et d’autorité morale. Je n’avais jamais eu l’occasion de mesurer ainsi le résultat du travail incessant qui s’accomplissait