Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/378

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

deux jours plus tard, lorsqu’on apprit que l’Allemagne violait la neutralité de la Belgique, disait au consul belge : « N’ayez pas peur, nous ne vous prendrons point de territoire ; mais nous vous forcerons d’entrer dans notre système douanier. » « — Quelle brute ! » pensait le consul belge. Je comparai son arrogance à la discrétion scrupuleuse de notre consul. Du temps que la Corée était indépendante, la Légation française occupait à Séoul une résidence charmante qu’elle y avait construite et qui s’élève derrière le Sontag Hôtel. Mais nous l’avons vendue, et notre consulat est maintenant en dehors de la ville, au bout d’un faubourg, dans une campagne montagneuse. J’y allais souvent, et j’y trouvais toujours M. Guérin préoccupé de la mobilisation, soucieux de remplir exactement son devoir, très éloigné d’affecter aux yeux des étrangers et des Japonais une attitude de conquérant matamore.

Nos Missionnaires, dont l’appel des réservistes désorganisait l’œuvre patiente et difficile, recevaient le coup avec sérénité. « Nous travaillerons pour ceux qui partiront, disaient les anciens, le sourire aux lèvres. Nous reprendrons notre bâton de voyage. Ça empêchera nos vieux membres de s’ankyloser. » Mais les Bénédictins allemands avaient la mine renfrognée des capucins de baromètre qui indiquent le mauvais temps.

Enfin un petit intermède comique nous fut donné à l’hôtel, où la politesse et l’humanité françaises faisaient joliment ressortir leurs contraires germaniques. Parmi les voyageurs, rares à cette époque brûlante de l’année, il y avait un Allemand accompagné de sa femme : lui, entre les deux âges, rasé comme un Américain : elle très brune, jeune et belle. Par égard pour cette jeune femme et aussi pour cet homme qui paraissait bien élevé, nous nous abstenions, lorsqu’ils étaient là, de commenter les premières dépêches qui nous étaient favorables. Pendant les deux ou trois jours qu’ils restèrent à l’hôtel, ils n’entendirent pas un mot dont put se froisser leur amour-propre national. M. Boher tenait à épargner ses hôtes ; et, plus d’une fois, il attendit leur sortie pour inscrire sur son tableau noir des nouvelles qui les eussent désobligés. Le matin de leur départ, ils demandèrent leur note, et pendant que le caissier la faisait, le mari, s’adressant à M. Boher, lui dit : « Rien de neuf, ce matin ? » — « Non, Monsieur. » — « Bon, bon ! Nous sommes tranquilles. Noire armée va vous envahir. Nous avons décidé de ne livrer de