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À Taïku, la seule grande ville par où l’on passe et qui forme le second diocèse de la Corée, de nouveaux Missionnaires nous rejoignirent avec leur Évêque, Mgr Démange, un des plus jeunes évêques de la chrétienté, mobilisé lui aussi. Simple soldat, il voyageait en troisième classe. Les Japonais et les Coréens, dont le wagon était rempli, regardaient silencieusement ce bonze étranger qui différait des autres bonzes étrangers par le ruban violet de son chapeau, sa ceinture violette, sa chaîne d’or et sa grosse bague. Leur sens de la hiérarchie ne comprenait pas très bien sa présence parmi eux.

Une nouvelle sensationnelle nous attendait à Fusan. Toute la semaine les ultimatums s’étaient succédé : ultimatum à la Russie, à la France, à la Belgique, à l’Italie (?). Ultimatum de l’Angleterre. Ultimatum de la Turquie (?). Ultimatum de la Roumanie (?). Le buste bien connu de Guillaume nous apparaissait au centre d’un feu d’artifice incendiaire d’ultimatum, et toute conversation entre États ne semblait plus pouvoir s’engager que par la voie de l’ultimatum. Nous ne fûmes donc pas surpris outre mesure lorsqu’on nous dit que le gouvernement de Washington avait envoyé au gouvernement de Tôkyô un ultimatum pour lui défendre d’entrer dans le conflit. C’était le télégramme du jour, et il annonçait que le Ministère et les conseillers de l’Empereur étaient en train de délibérer. J’ignore d’où avait été lancée cette information que je n’ai point retrouvée le lendemain dans les journaux du Japon et qui visait surtout à impressionner les Coréens et à ranimer chez eux l’idée que les États-Unis entendaient modérer ou refréner les ambitions japonaises. Elle sortait sans doute de la fabrique de Shanghaï ou des Philippines. Cependant il est probable que les rapports se tendirent un peu entre Tôkyô et Washington. La presse japonaise en eut vent ; et elle se demanda si décidément les États-Unis considéraient le Pacifique comme un lac américain. Puis elle enregistra des démentis officiels.

Nous nous éloignions de Fusan. La nuit était sombre et la mer très douce. Sur le pont obscur du paquebot, les réservistes de Taïku s’étaient installés pour dîner, au milieu des treuils et des cordages. Les pipes et les cigares s’allumaient difficilement, car il soufflait une brise délicieuse. « Je vous invite tous, dit l’Évêque, à venir goûter, d’ici quelques mois, le petit vin du pays dans mon village d’Alsace ! » « Accepté ! » répondaient des voix