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allemande, ce n’était pas seulement que son consul de Yokohama eût trempé dans ces sales affaires, ce fut surtout une lettre d’un de ses principaux chefs où se lisaient des phrases comme celles-ci : « De récentes commandes montrent que nos amis du ministère travaillent consciencieusement. Si le capitaine X continue de nous ennuyer, on exigera son déplacement. Nos amis s’occuperont de faire déplacer ceux qui ne nous sont pas favorables. » Dans cette grossière mainmise sur les rouages intérieurs d’un pays étranger, dans cette espèce d’impérialisme attentatoire et brutal, vous reconnaissez la marque allemande. Rien ne pouvait inquiéter ni atteindre plus profondément la légitime susceptibilité du peuple japonais. Mais il ne parut pas y attacher trop d’importance. Aucune campagne anti-allemande ne se dessina dans la presse. L’ambassadeur, le comte Rex, qui offrait des dîners de cent couverts aux directeurs des journaux et aux officiers japonais revenus d’Allemagne, attribua sans doute cette réserve à la crainte respectueuse dont son pays avait frappé les Asiatiques. Il ne connaissait pas les Japonais. Il ignorait que leurs ressentimens s’enveloppent de silence. L’Allemagne ne peut s’en prendre qu’à elle-même de leur zèle à se tourner contre elle. L’Angleterre et la France y ont moins travaillé que sa politique agressive, l’intempérance de son Kaiser, l’esprit corrupteur de son industrie, et, chez une nation dont les sociologues et les philosophes se flattent d’avoir créé la psychologie ethnique, une extraordinaire incompréhension des âmes étrangères jointe, du reste, à un sens pratique très roué de leurs besoins matériels et commerciaux.

« Ils sont nos maîtres en fait de commerce ! » disaient les Japonais. C’était vrai. Le développement commercial de l’Allemagne en Extrême-Orient, pour qui du moins n’en considérait que la façade, tenait du prodige. Je crois cependant qu’il en était beaucoup de leur commerce comme, sur les quelques points où j’ai pu l’étudier, de leur science : l’un et l’autre se soutenaient par un labeur opiniâtre, mais ne résistaient que par l’immense crédit qu’on leur faisait et que semblaient mériter leurs efforts. Toujours est-il que, de jour en jour, l’importance de ces maîtres grandissait en Chine. Ils avaient fait de Tsing-Tao comme un Hong-Kong prussien. Le Japon ne laisserait pas échapper l’occasion de les en évincer, quand une si noble cause la lui mettait dans la main. Avec lui, la civilisation la plus