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L’ALSACE FRANÇAISE.

sourire leur apportait un rayon d’espérance. Les journaux allemands avaient beau dire : « La terre d’Empire nous appartient, Les Alsaciens se rallient, » les immigrés s’irritaient de voir toujours le bouquet tricolore sur la poitrine des femmes en deuil, des jeunes mariées et même des paysannes. La police défendit de le porter dans les rues. À l’Assemblée de Bordeaux, en 1871, les derniers députés français de l’Alsace avaient lu et signé le célèbre manifeste : « Nous déclarons nul et non avenu un pacte qui dispose de nous sans notre consentement. La revendication de nos droits reste à jamais ouverte à chacun et à tous. » Cette déclaration s’était inscrite comme un article de foi dans le cœur de tous les Alsaciens. J’ajoute que par l’attitude ferme et invariable de l’Alsace, elle s’inscrivit dans la conscience du monde politique et du monde pensant comme la plus grave des questions européennes. Car elle plaçait le problème des nationalités sur son vrai terrain, je veux dire le droit des peuples au libre choix de leur patrie, droit aussi sacré que le droit de l’homme à sa liberté. Ce fut, pour l’Alsace, la période protestataire, qui dura près de trente ans. On sait que nombre de députés alsaciens s’en firent les éloquens défenseurs au Reichstag.

Vers 1890 cependant, il se produisit une crise dans la conscience alsacienne. C’était au lendemain du boulangisme. Le parti radical triomphait en France. Personne sans doute n’y oubliait l’Alsace, mais, dans la lutte violente des partis qui se disputaient le pouvoir et au milieu des préoccupations coloniales, les politiques d’alors avaient l’air de négliger l’Alsace. Les pacifistes internationaux et les tripoteurs d’affaires parlaient d’une possible alliance avec l’Allemagne que celle-ci offrait à la France, à la condition d’une renonciation catégorique et définitive à toute prétention sur l’Alsace-Lorraine dans les temps futurs. J’ajoute qu’aucun gouvernement français, quel qu’il fût, n’eût jamais pu assumer la honte d’une pareille alliance. Il eût été immédiatement renversé. Car, si pacifique qu’elle fût (pacifique jusqu’à désarmer au moment où l’Allemagne augmentait ses armemens en des proportions fantastiques), la France sentait que fermer son oreille à la voix de ses provinces perdues, mais toujours fidèles à son souvenir, et accepter à ce prix une alliance humiliante avec leur oppresseur, c’eût été non seulement devenir la vassale de l’Allemagne et la complice du mili-