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encore vu. Mais ce qui dépasse l’imagination, c’est l’adhésion en masse des plus notoires intellectuels de l’Allemagne à ces crimes inouïs de lèse-humanité. Le manifeste collectif, qui essaye de justifier les massacres de Louvain et la destruction de la cathédrale de Reims comme des « cruautés disciplinées » et nécessaires à la grandeur allemande, restera une tache ineffaçable au front de cette nation. Nous savons maintenant ce que la grandeur germanique nous apporterait si elle parvenait à se substituer à la civilisation.

Quels sont, au milieu de la tourmente européenne, les sentimens de l’Alsace retenue par l’ennemi dans un cercle d’acier comme un otage qui attend l’heure de la fusillade, mais qui sait, malgré tout, que l’heure de la délivrance approche et qui l’attend avec une confiance imperturbable ? On devine ses pensées ; il est presque superflu de les exprimer. Placée au centre du cyclone et se trouvant, comme disent les marins, « dans l’œil de la tempête, » elle voit, de temps à autre le ciel s’éclaircir au milieu des rafales et l’azur éclatant de lumière sourire à travers la trouée des nuages. Elle regarde, elle écoute… et déjà elle entend le canon français tonner aux flancs du Donon et sous le ballon de Guebwiller. Elle écoute et songe… C’en est fait maintenant de son rêve passé d’être un trait d’union entre la France magnanime et la savante Allemagne. Celle-ci lui a trop bien montré ce qu’elle est devenue. Ses liens sont rompus à jamais avec le maître insolent et le tyran sans pitié comme sans honneur. C’en est fait aussi de la combinaison boiteuse d’une autonomie bâtarde, qui la livrerait impuissante aux ruses et aux assauts d’un voisin sans scrupule. Quoi qu’il arrive, elle appartient à jamais à la France qui, en ce moment, lutte pour son existence et pour celle de tous les peuples opprimés. Elle écoute les voix confuses qui viennent de partout et se souvient de sa longue, de sa douloureuse histoire. N’était-elle pas déjà gauloise, — et française en puissance, — il y a deux mille ans, quand César jeta dans le Rhin le pillard Arioviste et ses trente roitelets allemands ? Et, six cents ans plus tard, ne reçut-elle pas comme un effluve de la Gaule chrétienne et latine quand sa patronne sainte Odile versa, du haut de sa montagne, un flot de charité divine et de foi lumineuse sur la vaste plaine encore noire de forêts et fauve de barbares tumultueux ? Ne devint-elle pas française pour toujours quand, mille ans plus tard, la