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magnifique et à portée, par ses grands revenus, de suivre son goût à cet égard. Le seul archevêché de Monreale en Sicile lui vaut, à ce que l’on dit, cinq à six cent mille livres… Ce prélat est d’une belle et grande figure, quoiqu’un peu matérielle : il paraît avoir l’esprit fait comme la taille. » Son discours fut bref : il proposa simplement à l’assemblée de surseoir aux scrutins, tant qu’elle ne serait pas au complet. Plusieurs cardinaux gouvernaient, en Italie même, des diocèses écartés : comment leur en vouloir d’un peu de retard ? Mieux excusés encore étaient les cardinaux étrangers, contraints à un long et souvent difficile voyage, sur des routes que l’hiver rendait plus incertaines. Et puis, il y avait autre chose : les princes catholiques ne s’offusqueraient-ils pas de voir traiter si cavalièrement des sujets illustres qui étaient aussi des mandataires officieux ? Une absence entre toutes pouvait provoquer des colères ; elle eût d’ailleurs été un paradoxe : celle du cardinal Giudice, chargé du secret de l’Empereur, l’avoué, depuis Charlemagne, de la sainte Église Romaine !

Le discours d’Acquaviva avait provoqué une vive agitation dans l’assemblée. Ses dernières paroles se perdirent dans un tumulte où les applaudissemens frénétiques se mêlaient aux protestations indignées. Autant la proposition de l’archevêque de Monreale, en effet, agréait au parti Albani, dont elle faisait le jeu, autant elle déplaisait à la faction Corsini, qui n’avait rien à gagner et tout à perdre à la venue des retardataires. Le calme enfin rétabli, le camerlingue suggéra de voter à mains levées sur la motion Acquaviva : il se flattait d’en intimider ainsi les adversaires qui n’oseraient, pensait-il, se déclarer ouvertement contre l’avocat de l’Empereur et des rois. Albani se faisait illusion : ce fut une surprise pénible pour lui d’entendre un cardinal demander la parole, et sa déception se mua en véritable émoi, lorsqu’il reconnut Tencin dans ce fâcheux interrupteur, Tencin chargé d’affaires du roi de France et lui-même cardinal de couronne. L’élégant prélat, dès l’abord, dressa contre la thèse politique d’Acquaviva une antithèse subtilement fondée sur le terrain religieux. Depuis quand, dit-il en résumé, le conclave a-t-il souci de la volonté des princes ? Les cardinaux ne sont-ils pas seuls les électeurs du Pape, tenus par un serment solennel à n’écouter que leur conscience ? Or, la chrétienté, privée de son chef, en réclamait un sans délai. Et le Roi Très Chrétien, se