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sont trop faibles. Je ne dirai rien de nos croiseurs cuirassés, ne sachant pas au juste s’ils opèrent là-bas d’une manière effective et continue. On ne peut douter, en tout cas, qu’ils ne soient pas faits, en principe, pour ce genre d’opérations. Quant au Venerable, certes ses grosses pièces, appuyées d’une bonne artillerie moyenne, satisfont aux besoins (sauf en ce qui touche les feux courbes, car il n’a pas d’obusiers…) ; mais ce cuirassé d’escadre, d’un prix élevé et qui serait si utile en haute mer, le jour de la bataille décisive, est exposé, dans cette région, à des dangers sérieux qu’éviterait aisément une unité de dimensions beaucoup plus restreintes, quoique bien protégée et bien armée. J’ai déjà dit, en parlant de son tirant d’eau, que le rivage bas, les bancs mouvans, la mer trouble parcourue de courans capricieux, lui sont de fâcheux ennemis, susceptibles de favoriser l’action des sous-marins et celle des gros mortiers des batteries de côte. Un échouage, peu dangereux en soi, deviendrait funeste en présence d’adversaires vigilans. Faut-il rappeler qu’en 1849, dans la première guerre des Duchés, le beau trois-ponts danois Christian VI fut réduit par quelques méchans canons de campagne auxquels, jeté à la côte d’Eckernförde, il ne pouvait plus répondre ? Ne se rappelle-t-on pas, aussi, que dans la seconde guerre, celle de 1864, le jour même de la bataille de Düppel, le monitor Bolfkrake, embarrassé dans des filets de pêcheurs tendus sur sa route par les Prussiens, reçut immédiatement sur son pont, dépourvu de cuirasse, des obus qui l’obligèrent à se retirer ?


Nous avions, il y a peu de temps encore, nous Français, des bâtimens exactement faits pour le genre d’opérations qui nous occupe en ce moment. C’étaient les quatre canonnières cuirassées de 1 800 tonnes du type Achéron. Le vice-amiral Jauréguiberry, le glorieux commandant du 15e corps à l’armée de la Loire de 1870, les avait fait mettre en chantier pendant son ministère (1882) avec la pensée bien arrêtée que ces unités étaient destinées à combattre sur les côtes basses de la mer du Nord. Leur canon de 274 millimètres, en tout cas, aurait fort bien fait ici, avec ses obus de 216 kilos. Ces pièces étaient, bien entendu, sous tourelles. La ceinture de flottaison portait 200 millimètres d’acier et le pont principal 80 millimètres. Quant au tirant d’eau, il ne dépassait pas 4 mètres. Enfin, malgré certaine lourdeur apparente, ces canonnières tenaient