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notre Balzac sur les romanciers belges : « Ce génie prodigieux, notre Shakspeare, est réellement l’arbre légendaire dont parlait le poète, si vaste qu’un cheval au galop mettrait cent ans à sortir de son ombre… » Romanciers belges et romanciers français procèdent de Balzac. En outre, on ne voit pas — et M. Gilbert ne dit pas — qu’un autre Balzac soit né en Belgique, ait marqué prodigieusement sa suprématie et gouverne, chez nos voisins, l’art de l’époque. M. Gilbert ne cite pas un nom qui rayonne universellement et il ne désigne pas une œuvre qui porte le sceau du génie.

Ce qu’il nous présente n’est pas notre digne d’admiration : toute une littérature, ample et diverse, très féconde, vouée à l’amour d’un pays. Il l’appelle « régionaliste ; » oui, et magnifiquement, et minutieusement : pleine de réalité locale, embaumée des odeurs qui montent de la terre. Le « virus des Schopenhauer et des Nietzsche » ne l’a pas atteinte, ni la sociologie Scandinave, ni le lyrisme italien, ni généralement la mode étrangère. Elle est bien de chez elle et s’y enferme plus volontiers qu’elle ne court le monde. Elle est un peu casanière et ignore la plupart des toquades ou perversions qui ont, plus d’une fois, touché nos écrivains. Elle a une bonne santé. Elle a une sagesse qui consiste à ne pas croire qu’un petit domaine soit pauvre. Elle laboure son domaine ; et, plus elle le laboure, plus elle y trouve de richesse. Elle ne s’éparpille pas ; elle connaît bien ses limites et elle se plaît à s’y confiner. Elle sait qu’il est vain de chercher au-delà de son horizon le paysage où l’on aura ses familiarités, ses amitiés.

Voici M. Georges Virrès. Il a écrit Bonnes gens dans leur petite ville. Et c’est Tiest, leur petite ville. Peu d’animation, dans la petite ville et aussi dans le roman. Le bruit des voix, le pas des hommes, à Tiest, on les entend lorsque les tâcherons reviennent de l’ouvrage et passent par la place du Tilleul. Autour de ce tilleul, des enfans jouent quelquefois ; et, pour troubler le silence de toute la journée, il n’y a qu’eux. Le matin, la clochette du béguinage. M. Georges Virrès analyse comme cela le silence et les relâches du silence, jeux analogues à ceux de l’ombre et de la pénombre. Aux alentours du béguinage, c’est plus tranquille encore : « Ici, maisons et maisonnettes n’étaient pas peinturlurées d’ocre, de couleurs blanches ou rouges ; et les vêtemens, comme les pierres, avaient les teintes assourdies, presque pieuses du passé qui s’attachait à chaque pan de mur. Les demeures de rentier aux façades régulières, ayant remplacé les pittoresques logis flamands, prenaient dans l’air ambiant des aspects, d’un charme