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cheveux. Un châle des Indes, très riche et qui laisse voir la robe de soie, gris d’acier, « couleur de rollmops. » Elle marche à petits pas et ne va guère vite, car elle est « courte d’haleine » et l’avoue sans nul embarras. Mais elle rend visite à ses amies, Mme Van Poppel, Tïmmermans, Posenaer et Van Steenkiste : autant de personnes très comiques, d’ailleurs honorables. Les négocians de la rue du Miroir et de la rue des Harengs, les buveurs de lambic, les habitués de la Grande-Harmonie : autant de bons diables et qui ont le culte de leurs manies, de leurs plaisirs, de leur respectabilité. C’est tout un monde, un petit monde singulier, que M. Courouble fait mouvoir avec le plus joyeux entrain, sans le ménager, sans lui épargner les traits de sa verve abondante. Seulement, ce petit monde dérisoire, il l’aime. M. Demolder l’a noté : les Kaekebroeck, Keuterings et Van Poppel, « il dépeint leur vie un peu ridicule avec une complaisance émue ; son livre est cordial ; il raconte les fêtes de famille de la rue du Rempart-des-Moines à la façon narquoise, bonhomme et tendre dont Jean Steen représentait à coups de pinceau les fêtes des Roys de son temps. » Les intrigues peu ravissantes qui mettent de l’agitation dans l’existence de ses plus ventripotens bourgeois, M. Courouble les raconte gentiment : il a soin de n’en être pas scandalisé ; quelle intrépidité calme est la sienne ! Il sourit ; et l’on devient complice de sa mansuétude. Un vif langage ne l’effraye pas, ni une aventure audacieuse. Puis, dès que se présente l’occasion de colorier un gracieux tableau, modeste et intime, il est encore plus content. Par exemple, il va nous conduire au magasin des bonnes demoiselles Janssens, qui tiennent une papeterie et qui vendent un peu de tout. Elles sont célèbres dans le quartier. Quand il manque, chez les Kaekebroeck ou les Keuterings, quelque chose, la première pensée est de dire : « On aurait peut-être ça chez les demoiselles Janssens… » Et on l’y trouve, en effet, presque toujours… « Lorsqu’on pénétrait dans leur boutique, on humait d’abord un parfum vraiment distingué de crayon Faber ; mais cette odeur, très furtive, disparaissait aussitôt pour laisser place à des remugles d’oignons cuits, de quinquet à pétrole et de chat. Il y faisait au surplus très sombre, à cause de ces images qui mettaient comme des stores à la vitrine et aveuglaient les carreaux de la porte d’entrée. Cette atmosphère écœurante et noire convenait aux deux vieilles filles qui la respiraient depuis quarante ans. Elle était devenue nécessaire à leurs bizarres poumons… » Économes, ces demoiselles n’éclairaient point au gaz-leur magasin. Le soir, quand on avait poussé la porte et ainsi fait retentir une sonnette enragée, l’une des demoiselles, Prudence