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mêlée d’erreur et de vérité. Bruxelles impitoyablement saccagé… La pensée du lecteur s’arrête sur ces mots. D’ailleurs, ce n’est pas la banalité moderne qui menaçait la « ville chérie » de M. Courouble. S’il annonçait une menace, eh bien ! Il se trompait de menace : en tout cas, il préservait contre l’ennemi — l’ennemi, c’est toujours l’avenir, avec ses troubles provisions de périls, — ce qu’il aimait fidèlement, une vie d’autrefois, le charme de cette vie, ses défauts adoucis par la durée, enfin le trésor d’une habitude humaine.

On dirait que les romanciers et les conteurs belges se sont partagé la tâche auguste de célébrer leur patrie. Chacun d’eux a pris un coin de province, une ville, un village. Et le partage ne s’est point fait au hasard ou capricieusement : il me semble que chacun d’eux a pris le coin de province, la ville ou le village de sa naissance et de sa jeunesse, de telle sorte qu’il sût mieux ce qu’il avait à dire, de telle sorte aussi que l’œuvre profitât de l’accord véritable et de l’analogie qu’on remarque entre le sol et les habitans d’un pays. Jadis, quand l’extrême facilité des transports n’avait pas bouleversé ici-bas toutes choses, les bâtisses étaient en harmonie de couleur et de forme avec le paysage. On employait, pour la construction, les matériaux de l’endroit ; on les prenait au flanc de la colline. Le plan même des édifices, leurs dimensions, correspondaient aux ressources et à l’imagination plus ou moins hardie, plus ou moins généreuse de la localité. Je trouve une pareille qualité de mesure et de spontanéité naturelle aux récits de ces écrivains, les uns sombres, les autres clairs comme leurs régions d’âpres forêts ou de fertile campagne, les uns tristes comme le Limbourg, les autres enjoués comme leurs vallées au soleil, et quelques-uns plus agités, narquois et impertinens comme les faubourgs des grandes villes.

En Belgique, il y a deux races, la flamande et la wallonne, qui vivent côte à côte, et chacune a son caractère, son tempérament, ses coutumes. M. Henri Davignon, que les lecteurs de la Revue n’ignorent pas, a consacré plusieurs volumes à l’analyse des différences et des affinités qui opposent et qui rapprochent ces deux races, qui maintiennent l’originalité de chacune et qui permettent leur réunion. Simon Maquinay, de Déracinée, un Wallon des environs de Saint-Hubert, amène à un fermier de Desteldonck, en Flandre, une paire de chevaux. Arrivé là, il y demeure ; il entre comme aide-comptable chez un industriel des environs de Gand. Bientôt, il est pris de nostalgie, regrette ses Ardennes, souffre d’exil. Une jeune fille, la nièce du fermier de Desteldonck, Priska Soltendries, s’intéresse à lui gentiment et