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foi. Leur enquête n’aurait eu, autrement, nul intérêt. Seulement, ils examinaient le problème de la germanisation dans nos provinces ; et ils désiraient de pouvoir, en toute sincérité renseignée, répondre : non, ces provinces ne sont pas germanisées, au bout de quarante-quatre ans. C’est ce qu’ils répondent. Le livre que leur enquête leur a donné porte ce titre : La victoire des vaincus. Notre victoire, à nous vaincus de 1870, ce fut, en attendant mieux, l’âme française demeurée intacte, en Alsace et en Lorraine. Or, demanderons-nous, qu’importe à ces écrivains belges ? ou, plutôt, que leur importait ?… Amitié pour nous, certes : remercions-les ; et, tant est forte leur joie d’annoncer la victoire des vaincus, on dirait que le pressentiment des jours prochains les a frôlés. Il y a, dans toute la littérature contemporaine, en Belgique, des signes de l’avenir.

Mais alors, quoi ! l’état-major allemand ne lit donc pas ? De ces frivolités, romans et nouvelles, non sans doute !… Il avait partout, et en Belgique, un prodigieux service d’espionnage : ses espions ne lisent donc pas ?… Eh bien ! la littérature belge leur eût donné un avertissement profitable et qu’ils ont méconnu. Ils auraient su, oui, par les livres des conteurs, faiseurs de fables toutes pleines de vérité, que cette nation, si tendrement attachée à ses paysages et à ses coutumes, si jalouse de son originalité, si heureuse de son indépendance et pieusement fière de ses traditions jusqu’en leur détail pittoresque ou simple, ne se laisserait pas envahir sans dresser contre l’insolent sa furieuse résistance ; et, au départ de la campagne qu’il organisait, l’état-major allemand n’aurait pas commis cette immense erreur de supposer, hypothèse riche en désastres, le renoncement et l’avilissement belge. C’est une grande et admirable dignité, pour les écrivains, d’être, en de telles conjonctures, et même si on a refusé de les entendre les porte-parole d’un peuple.


ANDRE BEAUNIER.