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cru, il y a quinze jours, que, l’inondation étant venue s’ajouter aux autres obstacles qu’il rencontrait, il avait renoncé, au moins provisoirement, à la marche sur Calais ; mais presque au même moment, un nouvel et violent effort était fait par lui dans le même sens ; il a tenté une fois de plus d’enfoncer notre extrême gauche et de la tourner. La tactique allemande est toujours la même : elle consiste à livrer un assaut furieux avec des masses profondes ; elle n’a eu jusqu’ici d’autre résultat que d’amener de véritables hécatombes humaines. Nous faisons malheureusement des pertes sensibles, mais il est hors de doute que, par suite de leurs formations de combat, les Allemands en éprouvent de plus considérables encore. Si nous nous usons, ils s’usent davantage. Jusqu’ici, ils ont toujours réparé leurs pertes en faisant venir des troupes nouvelles, mais le pourront-ils toujours, le pourront-ils longtemps ? N’oublions pas qu’ils sont obligés de faire front de deux côtés à la fois, contre nous et contre les Russes. Nous réparons- nos pertes, nous aussi, nous comblons nos vides, et les Anglais tout de même, mais nous avons encore des réserves nombreuses et celles des Anglais sont à peu près intactes. De ce côté l’avenir est plein de promesses. Tout le monde l’a compris en France, et de là vient le stoïcisme impassible avec lequel on y supporte tant de deuils douloureux. On y croit fermement que la victoire sera au plus patient, à celui qui tiendra le plus longtemps, et on ne met pas en doute que ce sera nous. Cette conviction du pays est encore bien plus celle de l’armée. Il n’y a pas une famille qui n’ait un ou plusieurs représentans dans les tranchées, sur le front, et par conséquent nous recevons tous des lettres de soldats. On ne peut donc pas nous tromper sur leur véritable état moral : il est admirable de courage, d’entrain, de fermeté, et ces qualités, d’où résulte une grande force, se communiquent à ceux qui lisent leurs lettres. De là cette parfaite communauté de sentimens entre l’armée et la nation. Elles ont une même âme : rien n’en a ébranlé, rien n’en ébranlera la virilité.

Nous avons parlé de l’Angleterre : aucune lecture n’est pour nous plus réconfortante que celle de ses journaux. Non seulement ils rendent pleine justice à notre armée et à nos généraux, mais ils trouvent que nous ne le faisons pas assez nous-mêmes. Il y a quelque chose de fondé dans cette observation. Dans leur continence un peu sèche, nos communiqués quotidiens montrent une modestie qu’il est permis de trouver exagérée et nous aurions des réserves à faire sur cet « anonymat du courage » que l’on vante si fort. La presse anglaise nous renseigne sur nous-mêmes plus abondamment que ne