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le fait la nôtre, et nous lui en savons gré ; mais surtout, nous savons gré à l’Angleterre et à son gouvernement de l’énergie de leurs dispositions. Si les Allemands ont de la ténacité, les Anglais n’en ont pas moins ; la leur est même devenue légendaire, et nous sommes heureux de la retrouver aujourd’hui telle qu’elle était dans ce passé, que nous ne connaissons que par l’histoire. L’Angleterre continue de nous promettre que, d’ici à très peu de mois, elle enverra sur le continent une armée de 7 à 800 000 hommes, bien équipée, solidement encadrée, munie des instrumens de guerre les plus perfectionnés. Nous verrons bien si l’empereur Guillaume continuera de la traiter de « méprisable. » Cette armée n’existe pas seulement en projet, sur le papier, elle est déjà réunie, sinon encore tout à fait formée. Les appels que le gouvernement a adressés au pays ont été entendus et, quoiqu’il y ait eu des momens où le recrutement s’est un peu ralenti, les volontaires ont afflué. La remarque a été faite que c’est dans les momens où les affaires des alliés marchent le mieux que le nombre des volontaires diminue, comme s’ils avaient l’impression qu’on n’a pas besoin d’eux et qu’ils peuvent dès lors s’abstenir ; au contraire, ils se présentent en foule sitôt qu’un nuage passe sur nos têtes. On reconnaît là le caractère des Anglais, courageux autant qu’il est possible de l’être quand le danger apparaît manifeste, un peu indifférent, un peu imprévoyant, quand il est plus caché. Mais, tout caché qu’il est, il n’en existe pas moins, et l’Angleterre peut se rendre compte aujourd’hui des proportions effrayantes qu’il avait pris en pleine paix, et qui se sont révélées depuis le commencement de la guerre.

Il avait grandi sourdement, sournoisement, mais terriblement contre elle. La haine de l’Anglais couvait et fermentait comme un virus puissant, dans les cœurs allemands ; elle avait fait naître les projets les plus redoutables et, de ces projets, la préparation avait déjà été poussée très loin. Pendant que l’Angleterre, trop fidèle à de vieilles habitudes d’esprit, continuait à se préoccuper du péril que pouvait lui faire courir un tunnel sous-marin entre la France et elle, — tunnel qui, en ce moment, serait si précieux pour les deux pays, — un péril beaucoup plus réel, beaucoup plus sérieux, la visait sur la mer et dans les airs et, sur son territoire même, l’espionnage allemand, avant-coureur des armées, s’était infiltré partout profondément. En même temps l’Allemagne, usant de qualités plus avouables et que nous ne lui contestons pas, s’était fait en Angleterre, comme ailleurs, une clientèle d’amis plus généreux que perspicaces, qui désarmaient les