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trois semaines. Le résultat a été que les Autrichiens ont commencé par être battus à plate couture, début fâcheux qui s’est trouvé être difficilement réparable. Du premier coup, les Russes ont été maîtres d’une grande partie de la Galicie et de Lemberg, sa capitale. Depuis lors, leurs progrès ont été quelquefois un peu lents, mais ils ne se sont pas arrêtés et, aujourd’hui, la Galicie à peu près entière est entre leurs mains : on ne la leur arrachera pas. Au Nord, le général Rennenkampf a poussé une pointe hardie, et qui, par contre-coup, nous a été fort utile, dans la Prusse orientale et jeté un tel effroi dans la population qu’elle s’est enfuie vers l’Est. Ce n’était là qu’un très brillant fait d’armes : le général Rennenkampf n’a pas tardé à se replier en arrière et à repasser la frontière. L’armée allemande l’a passée derrière lui, et nous nous sommes demandé, non sans quelque inquiétude, ce qui allait arriver : il est arrivé que la victoire d’Augustow a remis sur un bon pied les affaires des Russes ; ce sont les Allemands qui, cette fois, se sont repliés en plus ou moins bon ordre sur leur territoire. Depuis lors, l’aile droite de l’armée russe au Nord et son aile gauche, en Galicie, au Sud, ont non seulement gardé leurs positions, mais presque constamment gagné du terrain.

Reste le centre où opère une troisième armée russe, car, autant que nous puissions en juger, il y a trois armées russes, qui, naturellement, manœuvrent de conserve, mais n’ont pas entre elles une liaison étroite et gardent une certaine indépendance dans leurs mouvemens. L’armée du centre, qui couvre Cracovie, a eu affaire dans ces derniers temps au général de Hindenburg, qui paraît bien être, dans l’Europe orientale, le meilleur général de l’armée allemande. C’est un manœuvrier à la fois audacieux et habile. Il est apparu récemment à la tête d’une armée de 400 000 hommes entre la Warta et la Vistule et l’armée russe a reculé devant lui. Les pessimistes, — il y en a toujours et partout, — ont jeté l’alarme ; mais il faut reconnaître que, du moins pour cette fois, les Allemands n’ont pas eux-mêmes exagéré l’importance d’un avantage qui n’était peut-être qu’apparent et qui risquait, en tout cas, de n’être que provisoire. Les communiqués de leur état-major ont été réservés. Faut-il répéter encore que, dans une guerre comme celle qui se poursuit sur des fronts de plusieurs centaines de kilomètres et avec des armées qui n’ont pas les unes avec les autres une liaison parfaite, après avoir avancé sur un point, on peut être amené à reculer sur un autre, sans que le succès d’ensemble en soit compromis ? Il entre d’ailleurs dans les traditions de la stratégie russe de reculer de parti pris pour amener l’adversaire sur un champ de bataille