Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/601

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouver chez eux sur l’une et l’autre rive du Rhin, et prêts à mettre au service des idées recueillies sur la rive gauche un intellect devenu français par la précision et la clarté. La gênération spontanée de la poésie primitive leur dut un parrainage et du mouvement. Ils jetèrent dans la pâte leurs formules faites pour exciter la curiosité et provoquer la controverse. « Je ne peux pas imaginer qu’il y ait jamais eu un Homère, un auteur des Nibelungen[1]. » « La poésie populaire ne possède pas de poètes individuels qu’on puisse nommer par leurs noms, elle a jailli du peuple même[2]. » « Toute épopée s’est composée involontairement[3]. » « C’est le peuple entier qui créa l’épopée Il serait absurde à un individu de vouloir en inventer une, car il est nécessaire que toute épopée se compose elle-même et ne soit écrite par aucun poète[4]. » Fauriel accueillit en France la doctrine adoptée par eux. Ce survivant de la Révolution l’avait traversée avec une fidélité inébranlée dans la démocratie et une douleur que l’œuvre de tous eût été si tôt et si complètement écrasée par l’action d’un seul. Cette amertume politique le prédisposait à soutenir, fut-ce par ses opinions de lettré, la revanche du génie collectif contre l’usurpation du génie individuel. Il appliqua à cette doctrine allemande la méthode française, cet ordre persuasif et cette sollicitude généralisatrice qui embrassent dans leur synthèse l’étendue entière d’une idée. Persuadé qu’il y a une poésie « de tout point originale et spontanée, populaire dans sa substance et dans ses formes[5], » « expression directe et obligée de la nature[6], » « expression directe et vraie du caractère et de l’esprit national[7], » il prétend découvrir, par l’étude de tous les peuples primitifs les lois de cette poésie. Il assemble tout ce que les explorations entreprises un peu partout, des pays Scandinaves à l’Inde, avaient amassé d’authentique ou d’apocryphe, et son intelligence, plus divinatrice qu’informée, règle cette confusion. Il constate que la poésie populaire a des formes successives : d’abord brèves comme les premiers cris de la vie commençante, elles deviennent, à mesure que les

  1. J. Grimm, Lettres à d’Arnim.
  2. lbid., Kleinere Schrislen, t. Ier, p. 155.
  3. lbid., t. IV, p. 10.
  4. lbid., t. II, p. 39.
  5. Fauriel, Chants populaires de la Grèce, p. 10.
  6. lbid., Histoire de la poésie provençale, II, p. 224.
  7. Ibid., Chants populaires, p. 25.