Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/604

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inégalement éducatrice pour elles, et pour les autres. Or une de ces races a été préparée pour être le modèle, de l’univers sans doute, et, à coup sûr, de l’Europe. Les Germains furent choisis pour renouveler le monde corrompu par l’empire de Rome. Au fond des forêts impénétrées et dans une sauvagerie qui était une défense, ils conservaient la source pure. C’est de là qu’elle a coulé intarissable sur les contrées fécondées par les invasions. Et parce que l’Allemand avait reçu en plus grande abondance toutes les vigueurs morales, qu’il s’en est mieux servi, qu’il a conservé plus longtemps leur simplicité originelle, sa poésie populaire est de toutes la plus variée en œuvres, la plus riche d’imagination, la plus féconde en enseignemens, la plus révélatrice de beauté. Elle se maintint mieux que nulle autre par la seule aide de sa tradition orale, puisqu’il recourut le dernier de tous à l’écriture au XIIIe siècle pour préserver d’altération et d’oubli le texte des Nibelungen. Elle se répandit partout où, depuis la préhistoire jusqu’au moyen âge s’étendit la race qui par ses émigrations forma tant de peuples, et leur poésie première est d’autant plus riche qu’elle emprunte davantage au trésor germanique.

La France était admise au bénéfice de cette parenté. Les Francs de Charlemagne, lorsqu’ils étaient les Français de demain, étaient les Allemands d’hier, les Francs de Mérovée avaient traversé le Rhin pour envahir la Gaule. Et si leur vertu native avait perdu à se mêler à l’inconsistance Celte et à l’immoralité Romaine, ils avaient conservé, de leurs traditions ancestrales, leurs habitudes de courage, d’obéissance aux chefs, de fidélité aux compagnons, et c’étaient leurs mœurs qui avaient gardé leurs pensées. Il suffisait de comparer les épopées des deux pays pour reconnaître tout ensemble le lien et l’inégalité des deux familles, admirer dans les Nibelungen la surabondance et la source des beautés qui ont descendu vers les chansons de geste, et voir d’où vient à celles-ci le merveilleux de l’imagination et l’idéal de l’honneur. Et, dès 1831, Uhland avait admis la France dans la clientèle de l’Allemagne et prononcé : « L’épopée française est l’esprit germanique dans une forme romaine. »

Quand se révéla cette revendication, la France, comparant son destin à celui de l’Allemagne, ne pouvait supposer qu’un peuple si longtemps dominé par elle prétendit la subordonner :