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avec patience qu’ils s’ordonnassent d’eux-mêmes en doctrine. Les chansons de geste furent étudiées par lui dans leur texte, dans les théâtres des aventures, dans leurs personnages. Et peu à peu sur les vieilles obscurités une clarté se leva. Des personnages, une cinquantaine, ont laissé une trace dans l’histoire. Tous vécurent entre le temps de Clovis et le temps de Charlemagne. Peu après leur mort la garde de leurs tombes, de leurs reliques, de leur mémoire se partagea entre autant de sanctuaires. Conservés aussi dans les paroisses ou les abbayes, quelques manuscrits de l’époque racontèrent dans le mauvais latin des clercs la raison toujours la même de ces respects durables. Au sacerdoce la plus parfaite des œuvres paraîtra toujours la diffusion de la foi. Il savait un gré privilégié à Clovis d’avoir entrepris cet apostolat en France, à Charlemagne de l’avoir étendu sur l’Europe, et il associait à cette reconnaissance les hommes d’Eglise, d’État ou d’épée qui s’étaient faits les auxiliaires du grand acte. A ses informations il ajoutait ses crédulités pour perpétuer la vie de ces morts qui font à leur tour l’importance et la fortune du sanctuaire où ils reposent. Car ce culte répondait aux instincts profonds des foules. La plupart des hommes, captifs de l’existence matérielle, n’ont presque pas de vie intérieure. Si la croyance en Dieu leur est innée, leur détresse demeure perdue comme en un vide infini dans l’infini de l’être inaccessible. Ils ont besoin que cette solitude se peuple d’êtres moins lointains, moins différens, supérieurs à eux par la vertu, égaux à eux par la nature. Ils ont besoin de croire aux saints, guides dont l’exemple instruit à s’élever vers le Créateur, garans dont les miracles attestent les sollicitudes du Créateur pour les créatures. Et il ne suffit pas au peuple que son espoir monte avec sa prière vers ces glorieux intercesseurs. Il a besoin que ses sens mêmes, témoins habituels de ses certitudes, fortifient sa confiance, que ses pieds le mènent aux places consacrées par des prodiges, que ses yeux contemplent l’efficacité survivante des mérites acquis par les élus, que ses mains touchent les tombes, que ses lèvres baisent les reliques. Et le culte des saints crée la dévotion aux pèlerinages.

Ils furent vite familiers à notre race, toute zélée de sa conversion récente. Chacune des églises où reposait la mémoire d’un grand chrétien attirait des visiteurs au personnage honoré là, et devenu pour la contrée un patron. Nombre de pèlerins