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Sa volonté a prévalu : la guerre a éclaté. Et il a été établi clairement que le devoir des citoyens de l’Europe était d’arracher le monde à l’absolutisme d’un homme, ou de quelques hommes, afin de donner pour fondement solide à la paix une loi internationale établie sur la justice, et un tribunal chargé d’appliquer la loi.

Pour un tel bienfait, de cruels sacrifices auront été nécessaires. Que de sang, que de larmes, que de ruines ! — Mais qui sait si la liberté ne s’achète pas par la douleur ? — Après tout, ces nations libres qui, avec une abnégation héroïque, se sacrifient pour un noble idéal, c’est un beau et sublime spectacle, qui transporte d’admiration. En ces heures inoubliables que nous venons de vivre, tous les citoyens, — toutes les citoyennes, — de France, de Belgique, d’Angleterre, de Serbie, de Russie, ont compris qu’ils étaient gardiens, non seulement de leur nationale indépendance, mais encore de la civilisation mondiale. Ce qui fait la force de nos armées, c’est que tous les combattans savent qu’ils combattent pour cette juste cause.

Quand la victoire aura été obtenue, il faudra reprendre les grandes pensées pacifiques de la France républicaine et démocratique. La guerre qui nous a été infligée est, malgré tout, une offense éclatante au bon sens, à la raison, à la justice, à la pitié. C’est Y irréparable pour des milliers de mères et d’épouses innocentes. Et, cependant, nous l’avons acceptée avec confiance, et nul d’entre nous n’a reculé devant l’horreur qu’elle inspire.

Mais, si nous la faisons dans le présent, c’est pour nous en préserver dans l’avenir. Si nous répondons par les armes à la provocation qui nous a été adressée, si un enthousiasme généreux, et presque joyeux, nous anime tous, c’est parce que tous nous savons, — en plus ou moins nette conscience, — que nous luttons pour la paix, et que cette paix sera un affranchissement.

Et ainsi se réalisera, — par la guerre, hélas ! — la parole prophétique de Michelet : « Au XXe siècle, la France déclarera la paix au monde. »


CHARLES RICHET.