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à Smyrne. Le métropolite, Mgr Chrysostome, a fait aussitôt une démarche pressante auprès du Vali[1], lui a exposé la situation où se trouvait la ville, isolée au milieu d’une région dévastée et saccagée, et l’a supplié de venir à son secours. La nouvelle de la destruction de la nouvelle Phocée, de tous les villages du caza était arrivée déjà à Smyrne. Le télégraphe fonctionnait régulièrement entre les deux Phocées et le chef-lieu du vilayet ; la plupart des centres de la province étaient à feu et à sang. Rahmy Bey, niant l’évidence, avec ce cynisme dont les autorités ne se sont pas départies pendant toute la durée des événemens, avait cherché à rassurer le métropolite, lui affirmant que Phocée ne courait aucun danger et que l’ordre le plus parfait régnait dans la région. Sur l’insistance de l’évêque, il avait consenti à mettre à sa disposition une canonnière, sur laquelle monteraient des envoyés de la métropole, chargés de calmer les esprits[2]. C’est à ce titre, à six heures du soir, que l’évêque et le secrétaire arrivent au milieu de nous. Le caïmacam les reçoit, le sourire aux lèvres, et renouvelle dans des termes identiques les assurances données par le Vali.

À ce moment même, mes compagnons braquent leurs lunettes sur la ligne des sommets des collines et aperçoivent au loin des points noirs, qui descendent vers la ville. Je les rejoins, je reconnais des paysans turcs avec leurs montures, armés jusqu’aux dents, qui s’avancent, en masquant autant que possible leurs mouvemens derrière les rochers. Nous donnons l’ordre à nos protégés de rentrer dans les maisons, dont nous verrouillons les portes avec soin. Un millier de malheureux sont entassés dans nos chambres et dans nos sous-sols.


II. — LE SAC.

Le premier coup de feu éclate vers huit heures du soir. J’entends les chocs sourds des haches et des crosses, défonçant les portes de la maison attenant à la mienne ; des cris de détresse, des hurlemens de douleur alternent avec le crépitement de la fusillade. L’odeur de la poudre remplit bientôt ma chambre. La maison n’a pas d’étage, impossible d’en défendre les accès. Si le gendarme posté devant la porte ne se fait pas obéir, si notre

  1. Gouverneur général de la province, Rahmi Bey.
  2. Je tiens ces détails de M. Coronopoulo et de Mgr Chrysostome lui-même.