Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/672

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de sucre, le contenu bariolé de flacons pharmaceutiques sont répandus dans les rues. Mais les casiers, les comptoirs, les meubles indispensables à la reprise du commerce sont respectés. Là aussi, un mot d’ordre a été donné. La méthode est frappante : les maisons doivent être réoccupées : c’est le second acte du programme. Les immeubles, comme les biens, doivent être régulièrement partagés entre les émigrés turcs, qui viendront bientôt d’Europe, entre les exécuteurs et les organisateurs.

Dans les églises, des violences ont été exercées sur les objets du culte et les icônes détestés ; la haine de religion s’est satisfaite en partie ; mais ce que convoitent surtout les pillards, ce sont les objets d’or et d’argent, les ornemens des volets d’iconostase, qu’ils arrachent et entassent dans leurs paniers : ils les vendront plus tard, à Smyrne, dans les grandes villes, au poids du métal, au profit de qui de droit.

Seules, les propriétés juives (12 maisons appartenant à environ 50 personnes) ont été épargnées. Le fait et le procédé sont instructifs et doivent être notés. Un chiffon de toile blanche a été noué sur chacune des portes israélites. Devant ce signe, les pillards se sont immédiatement arrêtés. Il y a donc eu entente à l’avance, les juifs ont été dans le secret. Nouveau témoignage de la discipline avec laquelle l’opération a été menée. Ce n’est ni la race, ni la religion qui les ont fait respecter ; on sait que juifs et chrétiens se valent devant Allah ; ce sont tous au même titre des infidèles, dont la vie et la propriété comptent peu devant l’intérêt supérieur de l’Etat ou du Croissant. S. E. Rahmy J3ey est un dunmé de Salonique, un descendant d’israélites convertis à l’islamisme, il y a deux ou trois siècles. Est-ce à lui que les juifs doivent d’être sains et saufs ? Je n’en sais rien ; il faudrait vérifier si la même mesure a été prise dans les autres vilayets. La plus grande part de cette bienveillance revient certainement aux hautes influences israélites au sein du Comité Union et Progrès et à un mot d’ordre venant des loges maçonniques.

Tandis que les malheureux, qui, depuis des siècles, ont lentement accumulé sur la douce terre d’Ionie le fruit de leur travail, leur épargne, leurs souvenirs, s’éloignent sur nos navires, qu’ils jettent un suprême adieu au sol qui les a vus naître et qui les a nourris, aux tombes qu’ils abandonnent derrière eux ; tandis qu’ils saluent du regard le pavillon du généreux pays,