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corps de l’évêque, aucun d’eux n’a pris en effet la défense d’un seul malheureux et, comme les autres, ils ont pris leur part du pillage. Le caïmacam avait été choisi quelques semaines avant les événemens pour y remplir son rôle. Si Talaat Bey recherchait vraiment les responsabilités, qu’attendait-il pour révoquer Rahmy Bey, le gouverneur général, qui, ainsi que je l’ai démontré, était entièrement responsable du sac de Phocée ?

Après le départ de S. E. le ministre de l’Intérieur, la population turque de Phocée, qui, jusque-là, n’avait agi qu’isolément, pour exercer des vengeances individuelles, a été armée jusqu’aux dents. Elle est arrogante maintenant et, depuis quelques jours, achève dans le détail le pillage effectué d’abord en masse par les bandes des villages voisins. Mes compagnons ont vu des gendarmes transportant des ballots des maisons grecques dans les maisons des Turcs ; dans la maison voisine de la nôtre, appartenant à un officier supérieur de police, les produits du vol s’accumulent. Bientôt notre propre sécurité va être compromise. Quelles instructions Son Excellence Talaat Bey a-t-elle donc données ?

Sur les maisons vides et saccagées on appose maintenant des scellés : une ficelle, sur laquelle un morceau de cire est écrasé entre les doigts, est attachée d’un côté à la poignée de la porte, de l’autre à un clou fiché dans le mur. Quelle naïve mise en scène I Elle est destinée à faire illusion à la commission des drogmans des ambassades européennes, dont la visite est annoncée pour la semaine suivante. Croit-on vraiment qu’ils se laisseront si facilement duper ?

J’étais revenu à Phocée avec l’intention de mettre de l’ordre dans mes travaux. Il ne pouvait être question de les reprendre : la main-d’œuvre turque m’avait toujours manqué et, maintenant que les paysans regorgeaient de richesses, moins que jamais je ne pouvais y compter. Je me proposais donc simplement de nettoyer, avec l’aide de mes deux domestiques, les antiquités mises à jour, d’en prendre des croquis et des photographies, de ranger avec soin mon matériel et de prendre les mesures indispensables à la protection de mes travaux. Déjà mon programme était fait pour la journée du dimanche, quand, à six heures du matin, j’entends des cris et j’aperçois de ma fenêtre mes deux serviteurs, que j’avais envoyés chercher de l’eau à la fontaine, entourés d’une bande turque de la ville, qui