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les ennemis l’eurent réoccupé, ce fut au tour de nos batteries de les en déloger à nouveau. À ce jeu, on devine ce qui doit rester du malheureux bâtiment dont les murs et les toits sont percés comme une écumoire.

Je suis arrivé à Mondement le jour où la comtesse d’H… venait se rendre compte des dégâts. J’ai pu ainsi visiter l’intérieur, qui a autant souffert que les façades. Pas une porte, pas une fenêtre, pas un meuble qui n’ait été démoli par les obus ou criblé de balles. L’incendie acheva ce qu’avait épargné le bombardement. On a l’impression d’être devant la carcasse vide qui survit seule à l’éclat d’un feu d’artifice. On me montre la salle à manger où les turcos trouvèrent la table garnie des meilleurs crus et les verres à moitié pleins que l’état-major n’avait pas eu le temps de vider. A côté est le salon où, paraît-il, deux officiers, tués par l’éclatement d’un de nos obus, restèrent dans les positions où la mort les surprit, l’un devant le piano, l’autre jouant du violon.

Quelques projectiles se sont égarés sur l’église à côté du château et jusque sur le petit cimetière qui l’entoure. Des tombes d’officiers français encadrent celle d’un lieutenant hanovrien. Dans plusieurs fosses communes, sont enterrés des sous-officiers des deux armées ; le curé a inscrit leurs noms sur le mur de l’église, mais déjà ils sont à moitié effacés. La guerre finie, que restera-t-il de ces indications ? Quant aux simples soldats, ils dorment leur dernier sommeil dans les champs, autour du château.

Longtemps je m’attarde à Mondement, d’où je domine les marais de Saint-Gond et toute la plaine qui commence à s’estomper dans les vapeurs bleues de l’après-midi finissant. Une vaste paix tombe sur ces campagnes. Je dois faire effort pour me convaincre que c’est bien ici, il n’y a guère plus d’un mois, que se décida en partie le sort de la bataille qui, sauvant Paris de la menace ennemie et entraînant le recul de toute l’armée allemande, prépara la délivrance de la Patrie.


A côté de ces lieux que l’importance de l’action engagée pare de grandeur, voici les spectacles de désolation et de mort ; voici les villages que, sans nulle excuse de nécessité, les