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et dorées, l’autel où Louis XVI, ramené de Varennes, entendit la messe, le jeudi 23 juin 1791, jour de la Fête-Dieu, tandis que les gardes nationaux hurlaient après lui dans la cour.

Les souvenirs de Louis XVI nous poursuivent d’ailleurs pendant un moment. Nous sortons de la ville par la porte Sainte-Croix, qui fut élevée pour l’arrivée de la jeune archiduchesse Marie-Antoinette. Une fillette lui récita un compliment, banal comme tous les complimens :


Princesse, dont l’esprit, la grâce, les appas
Viennent embellir nos climats…


Se rappela-t-elle ces mauvais vers, vingt ans plus tard, lorsque, reine fugitive, elle s’engagea sur cette route de Sainte-Menehould ? C’est peu probable, alors surtout qu’au départ de Châlons, les voyageurs avaient eu le désagrément de se savoir reconnus.

Au lieu de continuer à suivre le chemin des berlines royales, nous allons seulement jusqu’à Notre-Dame-de-l’Epine, pour voir la belle église, qui semble plus majestueuse encore de se dresser au-dessus d’un simple hameau, et nous faisons un détour pour passer au camp d’Attila. C’est une vaste enceinte arrondie, appuyée à la petite rivière de la Noblette, et protégée, du côté nord, par un large fossé dont les terres ont été amoncelées sur les bords en forme de parapet. De là, nous gagnons Somme-Tourbe, par Bussy-le-Château. Nous ne sommes plus qu’à quelques kilomètres de la ligne de feu ; le bruit de la canonnade nous en avertit à chaque arrêt de l’auto. Les routes et les villages sont tout grouillans de la vie d’une armée en campagne ; nous croisons sans cesse des voitures de munitions ou d’ambulance, des détachemens rejoignant leurs cantonnemens ou leurs postes de combat, et surtout de longues files de nos autobus parisiens, auxquels revient en partie l’honneur du parfait service du ravitaillement. Les champs semblent transformés en terrains de manœuvres ; ce ne sont que campemens en plein air, parcs de cavalerie, forges et ateliers, batteries embusquées à chaque coin de bois, prêtes à se porter sur le front au premier appel. Et, de partout, de chaque maison, de chaque ferme, de chaque bosquet, surgissent des soldats de toutes armes, de tous costumes, de toutes races, de tous grades. Quel réconfort de leur voir à tous la même gaieté, la même bonne humeur ! Sur nos têtes,